la gueule de l’emploi = En filmant le recrutement d’un poste de commercial dans une entreprise d’assurances, Didier Cros met à nu la violence du monde du travail.

 

Dans une banale salle de réunion, assis face à une brochette de recruteurs qui les toisent comme des prédateurs leur gibier, une dizaine de chômeurs gonflés à bloc sont prêts au combat. Sous l'oeil des caméras de Didier Cros, l'un d'entre eux sera recruté par le GAN pour vendre des produits d'assurance, au terme de deux journées de tests de personnalité censés sonder leur motivation et leurs compétences. Cette épreuve de force, où sont malmenés les nerfs des uns autant que la dignité des autres, a l'allure d'un jeu un peu idiot : sauf que la dimension ludique du dispositif révèle d'entrée la violence symbolique du monde du travail auquel chacun aspire, parfois à n'importe quel prix, y compris celui de l'humiliation et du bas salaire (le smic).

Lors des deux journées, les recruteurs intimident, agressent, méprisent les candidats au nom de leur petit pouvoir et de leur foi aveugle dans l'entreprise.  

"Avez-vous été vous-même ?", "Pourquoi avez-vous les mains moites ?", "Vous avez de la chance d'être avec nous"… : les interpellations constantes et les sourires hypocrites des recruteurs glacent le téléspectateur de bout en bout.

Chacun doit prouver son aptitude à maîtriser la pression, prouver sa combativité, écraser la concurrence… Présent dans la salle tout au long du processus, le documentariste Didier Cros filme le recrutement, comme s'il filmait un spectacle vivant ou un match de boxe.

Plusieurs caméras consignent les échanges. Au plus près des candidats et des recruteurs, Cros observe leurs joutes verbales, leur pseudo complicité tournant parfois au conflit, et même la résistance de certains face à ce jeu de dupes. Comme au théâtre (boulevard ou tragédie ? : c'est toute la question), les masques tombent, les portes claquent, les aigreurs affleurent, les vertueux sombrent, les prédateurs triomphent et déchantent… Le tour de force de La Gueule de l'emploi tient à la vitalité des images enregistrant une mise à mort, à l'énergie d'un filmage captant la platitude d'une supercherie. L'unité de temps et de lieu renforce la théâtralité du dispositif, elle-même nourrie par la riche variété de "personnages".

Chaque candidat déploie un caractère particulier, entre acceptation enthousiaste du jeu et refus de la soumission : il y a ceux qui intègrent les règles et les formatages imposés et ceux qui s'en méfient, au point de ne pas porter la cravate, d'assumer les écarts avec la norme. Les plus rétifs au jeu de massacre quittent vite le dispositif quand les plus carrés traversent les épreuves.

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