Google+ n’est pas que le nom du réseau social censé détrôner Twitter et Facebook. C’est aussi le nom donné à cet ensemble de services, le « portail » Google donnant accès à toutes ses dépendances et les liants entre elles,

Larry Page à ses employés : « comprenez Google+ ou partez »

Google+, encore plus, toujours plus : c’est trop ! Mais ce n’est que le début, selon le patron de l’entreprise Larry Page.

Avec son retour l’an passé à la tête de l’entreprise qu’il a fondée, Larry Page a voulu faire d’une pierre deux coups : rassembler les services de Google au sein d’un même ensemble cohérent plus facile à gérer d’une part, et se débarrasser de tous ceux inutiles/inutilisés/non-maintenables/non-rentables de l’autre. Quand on voit le massacre réalisé pour le nettoyage (on a renoncé à continuer de compter les victimes), on peut imaginer sans difficulté que les quelques services restants sont les principaux rouages d’une énorme machine de guerre.

Google+ n’est pas que le nom du réseau social censé détrôner Twitter et Facebook. C’est aussi le nom donné à cet ensemble de services, le « portail » Google donnant accès à toutes ses dépendances et les liants entre elles, avec cette interface unie et ses couleurs grisâtres. C’est ce mauvais nommage qui est la cause de beaucoup de critiques envers la firme de Mountain View. Critiques méritées car Google joue sur cette nuance, notamment en forçant l’inscription au réseau social lorsque l’on veut utiliser une fonctionnalité qui n’a rien à voir, comme lire un article de l’AFP publié sur Google Actualités par exemple.

Pour beaucoup d’entre-nous, Google est encore synonyme de « moteur de recherches web », pour trouver des pages pertinentes par rapport à nos requêtes. C’est une erreur. Le moteur de recherches web, seul, n’existe pratiquement plus à moins d’être complètement anonyme – et encore. La preuve : regardez dans la colonne de gauche d’une SERP, la mention « Web » (Search dans la version anglaise) a été retirée au profit de la mention « Tout » (Everything). Un changement subtil qui indique la volonté de la firme : transformer Google en moteur de recherches universel et personnel.

Si je cherche quelque chose, j’utilise Google (web). Si je veux quelque chose, j’utilise Google (AdWords, Shopping, …). Si je souhaite retrouver quelque chose ou quelqu’un, j’utilise Google (historique des recherches, Google+, Gmail, …). Nous inculquer ces réflexes : voila l’objectif de Larry Page et de ses équipes. Pour la première, c’est chose faite depuis plus de 10 ans. C’est en s’appuyant sur la popularité et l’efficacité de la recherche Web que la firme compte bien devenir indispensable pour les deux autres piliers cités précédemment. Pour le moteur universel, Google a déjà bien avancé depuis plusieurs années , et c’est sur le moteur personnel que l’accent est mis depuis l’année dernière.

Google+ est le projet phare pour parvenir à cet objectif. C’est à ce titre que Larry Page aurait déclaré1 à ses ingénieurs, à propos de « Search Plus your world » (les résultats issus de Google+ intégrés dans les pages de résultats classiques) : « Voici le chemin sur lequel on roule à fond les manettes; un beau produit unifié à travers tout. Si vous ne comprenez pas ça, vous devriez probablement travailler ailleurs. »

Depuis lors, il se murmure que des ingénieurs seraient déjà en train de chercher du travail ailleurs. Pourquoi ? Ce n’est pas tant le principe de Google+ qui est en cause – un principe qui ne semble pas mauvais dans le fond, qu’y a-t-il de mal à vouloir répondre à toutes les recherches des internautes ? – mais son implémentation. En effet, le concept de personnalisation est présent depuis de nombreuses années dans Google, notamment dans les algorithmes de classement, mais ce n’est que depuis le mois dernier que ce terme a pris un sens nouveau : les résultats ne sont plus uniquement personnalisés en fonction de qui vous êtes, ils le sont maintenant aussi en fonction de qui vous connaissez. De plus, l’intégration de cette partie sociale dans les résultats ne s’est pas faite sans douleur.

Voici quelques-unes des critiques à cet égard :

  • L’activation par défaut de Search Plus your world dans la version américaine du moteur.
  • L’optin forcé de l’inscription à Google+ lors de la création d’un Compte Google. Normalement la logique voudrait que l’on puisse lire des articles, consulter ses mails ou gérer son agenda sans s’inscrire au concurrent de Facebook. Ce n’est plus possible.
  • La surreprésentation du réseau social Google+ dans les résultats sociaux, au détriment des autres. Quand je recherche « Mark Zuckerberg », est-il logique que son profil Google+, vide de tout message, apparaisse en première position devant Wikipedia et… Facebook ? Le contenu des pages de Google+ a beau avoir été optimisé pour le référencement, il est louche de les retrouver aussi souvent que ça dans les résultats, même non sociaux…
  • La publicité faite pour le réseau social quand le moteur n’est pas assez pertinent, au détriment de services concurrents tels Quora.
  • Le mélange d’informations privées avec des résultats publics est très perturbant. Il peut aussi causer des soucis : c’est bientôt la Saint-Valentin, si vous avez prévu une surprise pour votre compagne (ou compagnon) et échangé des idées sur Google+ avec un cercle restreint d’amis, cette discussion risque fort d’apparaître à tout moment dans les résultats si vous – ou votre tendre moitié à qui vous aurez prêté votre machine – tapez son prénom ou tout mot relatif à la surprise ! Encore heureux que les conversations Gmail n’apparaissent pas dans les résultats… Pour l’instant…
  • La pertinence catastrophique : dès que le moteur trouve des correspondances dans les articles publiés par vos contacts sur Google+ ou dans leurs (ou vos) « +1″, il les affiche de manière distincte et bien placée par rapport aux autres résultats. Quand bien même ils ne sont pas pertinents du tout ! Par exemple, en ce moment, en recherchant « étoile de David » le deuxième résultat est un lien d’un de mes contacts prénommé David ayant trait à la Guerre des Étoiles…
  • Les « rich snippets », ces résultats affichés avec des informations complémentaires (notes pour les produits, dates de concerts, recettes de cuisine, …), sont détournés en faveur de Google+. Ainsi, en juin 2011, Google annonçait fièrement la prise en compte du standard rel=”author” qui permet d’associer des articles à la page profil de leur auteur, et d’afficher la photo de ce dernier dans les pages de résultats. Voyant les bénéfices en termes de visibilité, les webmasters se sont jetés dessus. Surprise, moins d’un mois plus tard Google+ était lancé, et la firme change les règles en n’acceptant plus que les pages de profil de Google+. Dans les résultats enrichis, pour un lien vers votre site il faut compter pas moins de 3 liens vers Google+.
  • La campagne de recrutement de Google+ pour les webmasters ne repose sur aucun argument. Aucun. Pourquoi créer des « Pages Business » ou des profils utilisateurs ? Qu’est-ce que cela va m’apporter ? Pourquoi afficher un badge Google+ sur mes sites ? Cela va-t-il augmenter leur nombre de visiteurs ? Qu’est-ce que j’y gagne par rapport à d’autres réseaux sociaux ? Google n’apporte aucune réponse, mais n’hésite pas à inciter matraquer les internautes pour qu’ils s’inscrivent. Tout comme ils l’avaient fait pour qu’on installe des boutons +1 ou qu’on clique sur ces derniers…
  • La recherche sociale n’est pas nouvelle, d’ailleurs Google avait lancé une expérience en 2009 nommée « Social Search ». C’est à peu de choses près le même principe qu’aujourd’hui, à une différence majeure : les résultats sociaux n’étaient pas mélangés aux résultats naturels. Autrefois, c’était l’internaute qui faisait volontairement le choix d’aller dans le moteur social pour y trouver les informations qu’il souhaite, comme vous le faites avec Google Images ou Google Maps pour trouver des photos ou des itinéraires.
  • Les pages bénéficiant de « rich snippets » sont généralement mieux classées que leurs concurrentes [même si cela reste encore à démontrer]. Pour en bénéficier il faut que le webmaster s’inscrive à Google+ et que son profil soit sur ce service. S’il respecte les standards et pointe sur profil vers un service concurrent, ou le sien, cela revient à être pénalisé par rapport aux autres. Et c’est en cela que la firme Mountain View est peut-être en train de réaliser un abus de position dominante… Pour leur défense, les représentants de Google disent toujours que le moteur n’est qu’à un clic de la concurrence. Cette affirmation tient de moins en moins face à ces nombreux « pièges à clics » mis en place pour éviter que les internautes y accèdent.

Avec tant de soucis rencontrés, bien plus qu’à l’époque du lancement de Google Buzz, il n’est pas étonnant que la grogne monte du côté des internautes, des éditeurs de sites et des autorités. Le concept de la neutralité des résultats – inventé par Microsoft pour attaquer Google et qui n’a aucune valeur juridique, rappelons-le – n’est pas en cause ici. La société Google a le droit [du moins, selon la jurisprudence actuelle] d’afficher comme bon lui semble sur ses sites les données qu’elle détient, que ce soient des informations de la météo ou celles de la Bourse. Mais le moteur manipule ici des données personnelles, sujet hautement épineux, et c’est précisément ce qui va amener les autorités à enquêter sur l’utilisation réelle de ces renseignements. C’est certainement pour cela que Google vient tout juste d’unifier les Conditions Générales d’Utilisation de ses services…

Au final, personne n’est gagnant. Pas même le géant de la recherche qui voit les enquêtes et les procès à son encontre grimper en flèche, sans pour autant redouter des sanctions. Malheureusement, cela va se terminer, nous le craignons, de la même manière que pour l’affaire des referrers qui ne sont plus transmis par Google (encore un cas possible d’abus de position dominante) :

  1. Google impose ce changement, c’est le choc;
  2. Au début personne ne peut croire que la firme ait pu faire quelque chose comme ça, c’est le déni;
  3. Puis on réalise, et la lutte enragée s’organise, c’est la colère;
  4. Google ne plie pas et rompt encore moins, malgré tous nos efforts, c’est la dépression;
  5. Un nouveau scandale éclate tandis qu’on sait qu’on ne pourra plus rien faire contre celui-là, c’est la résignation.

Oui, c’est bien un deuil que nous, utilisateurs de Google et/ou éditeurs de sites, connaissons. Le deuil de la capacité qu’avait autrefois Google d’écouter ses utilisateurs. Ceux-là même dont il traque le comportement et les habitudes au travers de ses services pour nous en proposer de nouveaux, ou tout simplement de meilleurs pubs. Ô ironie.

Tout cette affaire ne tient finalement à pas grand chose nous direz-vous, il suffit que l’internaute désactive la fonctionnalité « Search Plus Your World » pour que tout redevienne à la normale. Oui, mais pourquoi le ferait-il ? L’internaute, par définition, est un fainéant qui ne fera pas l’effort de désactiver la recherche sociale, d’autant plus si cela ne le gêne pas plus que ça – il ne sait pas toujours à côté de quels résultats il passe.

Toujours est-il que ceci n’est qu’une étape dans le chemin tout tracé par Larry Page. On craint les prochaines…

1) Édition du 26 janvier à 20h50 : contacté par Business Insider, un représentant de Google a démenti catégoriquement que son CEO adoré ait pu tenir de tels propos. Quelle surprise…

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