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par Isabelle Roberts,
Raphaël Garrigos
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Bourre-Paf
Florent, candidat de Top Chef – Photo Julien Knaub – M6
Autant
vous le dire d’emblée : cet article n’est pas bien. Cet article n’est
pas super, ni cool, ni agréable. Non, cet article, il est bon. Il est
malin. Il est croquant. Il est graphique. Très graphique. Il a de la
texture. Du goût : bref, il se passe quelque chose, avec cet article.
Là, vous devez hurler : « ON LEVE LES MAINS ! » Sinon, bon ben, on
vous explique : c’est Top Chef, qui, ce lundi à
partir de 20 h 50 sur M6 et (jusqu’à 4 h 30 du matin vu l’éternité que
dure chacune des émissions), verra certainement hélas notre chouchou
Florent (même s’il commence sérieusement à nous saouler avec sa cuisine
d’autodidacte de bon sens qui travaille le produit rustique machin
machin) se faire rétamer en finale. Et plus, bien plus qu’une émission
culinaire, Top Chef, c’est un vocabulaire. Ou
plutôt, parce que ça sent bon la pomme de terre qui rôtit, confite de
beurre, dans la braise de cep de vigne où chuintent quelques larmes de
bon gras pendant que le romarin nous frisouille les poils du nez, Top Chef, c’est du verbe.
Langue de chefs
Bon, après hein, c’est du verbe de télé. Et les chefs, à
commencer par le plus cathodique d’entre eux, Cyril Lignac, né dans le
poste (Oui chef, souvenez-vous, il pleurait), s’y font à merveille. Ainsi, le « c’est gourmand »
dont, l’œil mi-clos mi-repu, les chefs usent et abusent pour décrire un
plat où il y a du bon manger dedans. Mais il y a une nuance : quand
c’est gourmand, généralement, c’est pas joli ou plutôt, en langage Top Chef, « graphique ».
Que voulez-vous, c’est que, tant que ces incapables de la télé seront
infoutus d’inventer une émission en odorama ou un service de livraison à
domicile instantané des plats que préparent les candidats, il en faudra
du verbe pour qu’on comprenne bien comment c’est bon. Et c’est ainsi
que les chefs nous aguichent la papille : « il y a du croquant », « il y a un beau volume », « il y a de la texture », « l’oignon explose en bouche », « l’acidité », « le peps ».
Sur la technique des candidats, les chefs ont également une incroyable palette sémantique : « il y a du travail », « il y a de l’engagement », voire le combo « il y a eu du travail engagé ». Enfin, surtout, il y a « le jus »
dont la seule évocation par chef Piège (oui, nous, on les appelle comme
dans l’émission, les chefs) dévoile la possibilité d’une sensualité. Ah
ce « jus » qui, dans le prononcé de sa fricative et
l’étirement de son « u », nous raconte une merveille de concentré cuit
et recuit, petite mare viandesque, brune, presque auburn, aux effluves
d’ail fondu dans des sucs perclus de… mais ah, on s’emballe. Ce jus.
Limite, il nous ferait mollir alors que, faut pas déconner, dans Top Chef, Cyril Lignac a réussi l’exploit d’inventer l’équivalent, en commentaire culinaire, du chamoulesco-tennistique « égalité parfaite »
(oui, quand il y a 15-15, égalité parfaite, plus parfaite que 15-16
mais alors c’est plus de l’égalité, et d’ailleurs ce n’est même plus du
tennis) : « Gustativement, c’est bon. » Auquel répond le magique « c’est joli visuellement ».
Langue de candidats
Le candidat de Top Chef est fourni
avec deux éléments sémiologiques indispensables : le langage de
charretier et la musique. Où qu’il aille, du four aux blancs en neige
en train de monter, le candidat est nappé d’une incessante musique,
tirée d’un jeu vidéo ou d’un blockbuster quelconques, et qui fait passer
le moindre coupé de carottes pour le dézingage au canon à électrons
d’une maousse météorite menaçant de s’écraser sur la Terre dans 3… 2… 1…
Aaah ! Le langage de charretier, à base de « putain, fait chier », de « merde, merde, merde », voire de « connard de beurre demi-sel »,
ne traduisant, on l’imagine, en fait que la légère exaspération d’avoir
sans cesse dans les oreilles cette musique serre-kiki. Si l’on passe
sur le « spéchiale » du candidat néerlandais Joris
(oh ça va, que celui qui ne s’est jamais moqué de l’accent batave nous
jette le premier Dave), chaque candidat partage en outre des expressions
identiques. Le déjà fameux « je vais me faire plaisir » (non pas en me mettant nu et en frottant mon corps contre chef Marx, mais en épluchant des rognons de veau) a ses adeptes.
On retrouve aussi le jumeau maléfique du « il y a de l’engagement » des chefs : « J’ai engagé beaucoup de travail. » A traduire par « j’ai tout salopé du sol au plafond y compris avec mon propre sang quand j’ai détaché un bout de doigt à la mandoline ». Au chapitre des manies, on dénombre un goût plus que douteux chez les candidats à faire des plats « gastro »,
une même incapacité à réussir le moindre caramel (un échec commun
d’ailleurs à toutes les émissions culinaires et dont il n’est pas rare
qu’elle se termine avec une casserole en feu), une obsession de tout
cuire en « trois façons » (afin d’avoir, plutôt
qu’une bonne idée, trois ratées) et enfin cette antienne destinée à se
motiver venue des Compagnies républicaines de sécurité : « Faut taper dedans. »
Langue de 2013
Les vrais savent. Les vrais savent qu’un Top Chef de 2013 ne parle pas la langue d’un Top Chef de 2012. Les vrais savent que la verrine est tellement old qu’elle n’a jamais eu sa place dans Top Chef.
Les vrais savent que l’agar-agar est sooo 2011. Que la feuille de brick
restera en 2012 avec l’imprimé africain. Cette année, la tendance,
c’est la chips. Mais pas celle crissante de sable des pique-niques
d’enfance : la chips de tomate, la chips de pain, la chips de vert de
poireau, de saucisse, de pattes de poulet et de vitelotte, s’il vous
plaît « pour la couleur et le croquant ». Le maki a
remplacé la feuille de brick de 2012, même s’il s’agit toujours de tout
fourrer dans une crêpe, tandis que, cette année, côté technique, c’est
le siphon qui succède à l’agar-agar, le principe étant de faire une
légère émulsion des mêmes ingrédients qu’on solidifiait du temps de
Sarkozy. Symbole. Le seul, tel un mât dans la tempête de butternut et de
citron-caviar de Top Chef, à ne jamais bouger d’un pouce, c’est l’animateur. Mais si, il y a un animateur dans Top Chef : Stéphane Rotenberg, chargé, de surveiller le chronomètre (« plus que quinze secondes ») et de dire « stop, on lève les bras » à la fin de l’épreuve. C’est un métier de peu, un travail ingrat mais Stéphane Rotenberg campe une admirable horloge parlante.

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