La trash attitude etude ADDED VALUE + Interview de Maffesoli

 

Scatologie,
voyeurisme macabre ou ultraviolence aux heures de grande écoute, le
tout teinté de dérision : dans les médias, mais aussi dans la publicité
et le marketing, le trash gagne du terrain.

Un adolescent
s’autocirconcit pour mieux satisfaire sa petite amie. Un partouzeur
invétéré se fait remodeler les pectoraux, afin d’être admis dans les
parties fines les plus sélectes. Un homme marié demande à se faire
greffer une paire de seins, histoire d’appréhender sa part féminine…
La clinique de Sean Mc Namara et Christian Troy, chirurgiens de la
série Nip/Tuck ne désemplit pas et la vie privée des deux
protagonistes n’est pas moins scabreuse : la femme de McNamara fantasme
sur un étudiant de quinze ans son cadet tandis que Troy est débordé par
son dévorant appétit de sexe. Si les acteurs sont beaux comme des
personnages de soap operas, la réalisation particulièrement
esthétisante et la bande-son irréprochable, le contenu est nettement
moins lisse : les chirurgiens-gravures de mode fourragent allègrement
dans les entrailles de leurs patients, avec des dialogues à l’avenant,
crus et saignants. Diffusée en deuxième partie de soirée sur M6 (ainsi
que sur Paris Première), la série a trouvé son public : près de 2
millions de téléspectateurs en moyenne, 20 % d’audience sur la cible
des ménagères de moins de 50 ans.

à toutes les sauces

Bienvenue dans la trash attitude ! À partir d’une étude qualitative
d’Added Value auprès des 18-35 ans, Interdeco, la régie publicitaire
des magazines Choc et Public, entre autres, a présenté le 7 juillet dernier son « décryptage de ce phénomène tendance ».
Il y a vingt ans, Serge Gainsbourg faisait scandale en brûlant un
billet de 500 francs à la télévision. Aujourd’hui, avec plus de 27
millions de références du mot « trash » sur Google, il en faut bien
plus pour choquer. Le livre La Vie sexuelle de Catherine M. s’est vendu à 1 million d’exemplaires, les opus de Michaël Youn cartonnent (2 millions d’entrées pour La Beuze, 1,5 million d’albums vendus pour les Bratisla Boys). Le trash a définitivement acquis ses lettres de noblesse : l’exposition Dyonisiac,
au Centre Pompidou, présentait, début 2005, les oeuvres de provocateurs
tels que Maurizio Cattelan, Keith Tyson ou le groupe Gelatin, tandis
que la Cité de la découverte flirtait avec la scatologie enfantine avec
Cradexpo, visite hyperréaliste du corps humain, intestins compris… « La provocation, ce n’est évidemment pas nouveau : à sa manière, Rimbaud était un « trasheur » avant l’heure, estime Annie-Paule Le Quéré, directrice des études chez Interdeco Expert. Mais on constate une massification de cette recherche de transgression depuis trois ou quatre ans en France. »

« Le mot « trash » est employé à toutes les sauces pour mettre tout le monde dans le même panier à linge sale », remarque, en préambule de l’étude, un verbatim. Bien vu. Le trash est résolument polymorphe. « Mais on peut néanmoins dégager des constantes, explique Annie-Paule Le Quéré. Une
intention de transgresser, avec des codes visuels privilégiant la
dérision, le décalage ou la caricature, avec, dans le fond, une
opposition au « bien ». »
Premier degré du trash, le « potache » :
fesses à l’air et plaisanteries de carabins, avec pour héros les «
streakers », exhibitionnistes soft aimant courir sur les terrains de
foot, comme dans une récente publicité pour Eurostar (agence Leg). Sur
l’échelle de la « trashitude », place ensuite au « Glam-Porno-Chic »,
mise en scène de jeunes filles pas sages, entre onanisme, saphisme et
sado-masochisme. « Alors que le potache a plutôt les faveurs des
garçons, cette catégorie plaît massivement aux filles, qui
s’approprient de plus en plus la culture trash comme un vecteur
d’émancipation »,
note Annie-Paule Le Quéré. Une contre-culture à opposer au gentil modèle de la poupée Barbie.

Moins frivole, le trash d’interpellation politique et sociale, avec des
campagnes comme la Sécurité routière (Lowe Paris) ou « Legalize
Eucalyptus » d’Eastpak. Le scato-crade, lui, s’exprime pleinement dans
les bandes dessinées de Vuillemin ou dans les images vomitives que
certains aiment à s’envoyer par le Net, dans un registre bloqué au
stade anal. Plus loin dans l’exploration du corps, le gore préfère
l’hémoglobine et les viscères, avec des films comme Kill Bill
ou des campagnes telles que « Renaissance » pour PlayStation 2 (TBWA
Paris). Le trash gothique, plus romantique, flirte avec le macabre,
telle la récente campagne pour Bug Rider (agence V) où un jeune homme
roule des pelles à un squelette, et porte des artistes comme Marylin
Manson au pinacle. Plus besoin de se balader avec un rat sur l’épaule
pour écouter l’artiste, qui remplit Bercy à chacun de ses passages
parisiens. « À une époque, Marilyn Manson faisait peur, maintenant,
plus du tout. Le public a compris le second degré inhérent au
personnage »,
remarque Guénael Geay, responsable du marketing
international chez Polydor, la maison de disque de Manson. Enfin, le
trash « violence » exprimé dans des films comme Irréversible ou
des jeux vidéo à succès comme Doom ou Grand Theft Auto, ou le sexe
hardcore, inventaire de pratiques extrêmes, sont encore plus
cathartiques.

Car c’est bien d’un exutoire qu’il s’agit. « Le changement de siècle a sonné la fin des idéologies, tandis qu’Internet donne accès au monde entier en bibliothèque, analyse Annie-Paule Le Quéré. Le
trash, largement employé dans les sociétés anglo-saxonnes ou
japonaises, où les normes sociales peuvent être étouffantes, permet de
mettre à distance un monde jugé chaotique et dangereux. Il permet aussi
de respirer dans une société de plus en plus politiquement correcte, où
l’on est montré du doigt lorsqu’on fume, sujet à caution lorsqu’on
consomme de l’alcool, et où l’on ajoute le principe de précaution à la
Constitution française. »

Plus de doute possible : le
phénomène est tout sauf marginal. Les grands éditeurs de presse,
alarmés par la désaffection des jeunes lecteurs, commencent à réagir.
Gérald de Roquemaurel, président d’Hachette Filipacchi Médias,
constatait, dans un discours prononcé lors du 15e Observatoire de la
presse, le 18 mai dernier, en évoquant le lancement par son groupe des
titres Public et Choc : « Ces magazines, généralement
hebdomadaires, tirent à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires,
sont plus orientés vers le people que vers le style de vie, plus «
gossip » que « glossy », et par là même facilement considérés comme
trash, et ont pour énorme avantage d’amener dans les kiosques des
populations qui les avaient massivement désertés. »
Les annonceurs
sont plus frileux, mais les éditeurs ne désespèrent pas de les faire
venir au trash comme ils sont venus au people. « Nous avons recadré le tir par rapport aux débuts de Choc, où nous étions peut-être allés un peu trop loin, affirme Gérard Ponson, directeur de la publication. Entrevue [également édité par Gérard Ponson chez HFM] a mis dix ans à décoller en termes de recettes publicitaires. Nous ambitionnons de faire de Choc
un magazine d’actualité, avec un côté « trash positif ». Il faut encore
laisser du temps au marché pour appréhender ces nouveaux types de
titres. »

Mieux vaudrait se préparer au grand retour du
refoulé. Car loin d’être un simple défouloir d’ados boutonneux et
névrosés, la tentation du trash implique de nombreux bouleversements,
comme le pressent l’ex-ministre Roger-Gérard Schwartzenberg dans son
ouvrage Sociologie politique (Éditions Monchrestien) : « Ces
minorités agissantes font bouger la société beaucoup plus que les
organisations et les parlements, et beaucoup plus vite. »
La « part
du diable », notre côté obscur décrit dans l’ouvrage éponyme du
sociologue Michel Maffesoli (lire l’interview), ne demande plus qu’à
s’exprimer sans entraves…

Delphine Le Goff

 

Interview

Michel Maffesoli : « On avait prédit le retour du diable, le voilà ! »

 

Professeur
de sociologie à Paris IV, Michel Maffesoli est l’auteur de La Part du
diable, précis de subversion postmoderne (Flammarion). Selon lui, le
phénomène trash n’en est qu’à ses prémices.

Comment analysez-vous cet engouement pour le trash ?

Michel Maffesoli. Ce
qui prévalait dans notre tradition judéo-chrétienne, c’est une
conception rationaliste de l’individu. Aujourd’hui, après une
survalorisation du cognitif, tout laisse à penser que l’on rentre dans
un cycle dionysiaque où l’identité repose non pas sur une unité, mais
une série d’identifications successives ainsi qu’un retour à
l’animalité. Avec des formes paroxystiques, le mouvement gothique, qui
se joue du démonisme et du satanisme : on avait prédit le retour du
diable, le voilà ! Mais attention, ceux qui le pratiquent ne sont pas
des marginaux, comme les jeunes qui, en leur temps, se rendaient à
Woodstock…

Pensez-vous que cette attirance pour « la part du diable » est un moyen d’échapper à une société angoissante ?

M.M.
L’angoisse se trouve plutôt dans l’intelligentsia qui propage ce type
d’analyses ! Je suis davantage frappé par l’intensité et
l’effervescence liées à ces phénomènes, qui sont avant tout des
expressions de vie. On assiste à un retour du barbare, mais un barbare
qui apporte du sang neuf dans nos petites vies bourgeoises. Même la
publicité, mythologie de notre époque, recommence à montrer de la peau,
des poils, du dessous qui se met dessus.

Le phénomène concerne-t-il seulement les jeunes ?

M.M.
Non. La figure emblématique du XIXe siècle était l’adulte sérieux,
rationnel, qui servait de modèle à la vie sociale. Aujourd’hui, la
figure emblématique serait plutôt l’enfant éternel, ce que l’on appelle
plus vulgairement le jeunisme. D’où un processus de contamination, qui
va se propager aux adultes. Il faut être attentif à tous ces courants :
ils sont partis pour durer !

Entretien : D.L.G.

http://www.strategies.fr/archives/1378/137801001

le PDF de added value sur cette tendance Téléchargement trash.pdf

Une réponse à « La trash attitude etude ADDED VALUE + Interview de Maffesoli »

  1. i see you’ve mentioned slava mougtin! his work is great. his highly sexualised installation and photographic works are a paradox. at once they are challenging to the feminised concept of the gay man present in the social psyche, yet subtle features, expressions, clothing and props continually reinvent and reinvigorate the fem nature of gay boys. his installation and photographic work effortlessly obliterates sex/gender stereotypes, to present new, masculinised and hyper-masculinised portrayals of mid-20s gay men.
    see my commentary here: http://plastikkpoet.blogspot.com/2007/09/male-on-male-masculine-gaze-slava.html

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