Publicité et représentativité de la population

La publicité face au tabou de la diversité

Dans la campagne Dove, signée Ogilvy, une vieille dame noire affiche
un sourire éclatant… Le basketteur Tony Parker a associé sa
silhouette longiligne et musclée à Nike, Kellog’s, Kinder et De
Fursac… Et pourtant, le constat ne souffre d’aucune ambiguïté : selon
une étude menée conjointement par le groupe Aegis Média France et
l’institut de sondage CSA, 43 % des personnes résidant en France
estiment que « la publicité n’est pas à l’image de la société ». D’ailleurs,
le sujet reste tabou pour les publicitaires comme pour les sondeurs
eux-mêmes. L’enquête a été menée avec d’infinies précautions
méthodologiques et sémantiques : le terme « communauté » n’y est jamais
employé, remplacé par celui – pour le moins singulier – de « résidents
». « En réalisant cette enquête, nous engageons notre image et notre crédibilité, nous avons donc été hyper-attentifs », se justifie Jean-Daniel Lévy, directeur adjoint de CSA.

Le luxe s’en sort bien

Il est vrai que les résultats de l’étude peuvent déranger la profession publicitaire : pour 62 % des « résidents » noirs, « la publicité n’est pas représentative de la population française », infligeant
leurs plus mauvaises notes aux secteurs de l’alimentation, de
l’hygiène-beauté, de la grande consommation et des télécoms. A
l’inverse, le luxe qui joue indifféremment la carte des beautés WASP –
Uma Thurman, Nicole Kidman – ou black – Halle Berry, Naomi Campbell –
s’en sort sans une égratignure, pianotant sur les mêmes pulsions «
aspirationnelles » des consommateurs, ancrées dans le rêve, sinon le
pur fantasme. Dans des registres différents, La Poste et GDF, qui,
depuis plusieurs années, s’efforcent de mettre en valeur des profils
très divers, s’en sortent très positivement. Mais le constat global
demeure médiocre.

A l’origine, l’étude s’était fixé pour objectif
de mieux connaître le jugement des différents résidents sur la manière
dont les marques prennent en compte la diversité de la population
française dans leur communication. Les résidents noirs ont été
interviewés les premiers. « De plus en plus d’entreprises nous
posent la question de la représentativité de la diversité de la
population à travers leurs pubs, car l’attachement à la marque est
d’autant plus fort qu’il existe une véritable proximité entre elle et
le consommateur »,
indique Mondher Abdennadher, directeur général de Deep Blue, filiale d’Aegis Media France.

Et,
de fait, quelle proximité une marque de produits capillaires vantant
des sérums permettant d’épaissir une chevelure maigrichonne est-elle en
mesure de revendiquer avec des consommateurs bataillant au quotidien
avec des cheveux abondants et frisés ? Jean-Daniel Lévy ajoute : « Aux Etats-Unis, nous sommes régulièrement soumis à des questions du type : «Lors
de l’élection présidentielle, comment les candidats se sont-ils
adressés à la communauté juive, noire ou musulmane ?» Nous avons le
plus grand mal à expliquer que ce type de communication n’existe pas en
France car elle se heurterait à de trop nombreux tabous. Pour tout
dire, elle ne serait pas tolérée. »

Boîte de Pandore

Car
déclarer s’adresser ouvertement à des membres d’une communauté ou d’une
religion spécifique risque d’ouvrir la boîte de Pandore. Pour certains,
se dessinent en creux l’opposition républicaine et l’approche
communautariste. Pour d’autres, les souvenirs de Vichy, de l’esclavage
ou de la colonisation, époque où l’on traitait et s’adressait à la
population selon ses origines, ravivent les craintes. Enfin, on peut
juger que la population française s’apparente de plus en plus à un
vaste melting-pot lorgnant le modèle américain.

Mais une pensée
dominante, sous-tendue par l’ambition d’être le plus consensuel
possible, renvoie les publicitaires à la représentation d’une
population presque uniformément blanche, catholique, née de parents et
de grands-parents français.

Ce qui n’empêche pas Aegis de vouloir
poursuivre ses travaux sur la représentation des différentes
communautés dans la publicité : après les Noirs, le groupe de conseil
média devrait se pencher sur les « résidents » musulmans, juifs et
asiatiques…

VÉRONIQUE RICHEBOIS

Source : Les Echos

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