Vieillir chez soi en 2030

"Véronique a 90 ans. Dès son réveil, détecté par des
capteurs, la cafetière se met automatiquement en route, ainsi que le
distributeur de médicaments et l’ordinateur qui télécharge le journal.
La vieille dame vit seule, mais elle peut, grâce au visiophone,
converser de visu avec sa fille, puis commander son repas de
midi au traiteur. Gymnastique adaptée à son arthrose du genou sous le
contrôle visuel de son kinésithérapeute (télé-rééducation), jeux vidéo
pour stimuler son cerveau : la matinée sera vite passée. Equipée de son
détecteur de chutes – un simple bracelet porté au poignet, qui
surveille également son rythme cardiaque et sa tension -, elle occupera
l’après-midi par une promenade avec Annette : sa vieille amie habite le
pavillon voisin, de plain-pied comme le sien.

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Quel changement par rapport à la vie des
personnes âgées que Véronique a connues vingt ans auparavant ! Quand
elle y pense, elle en a un frisson rétrospectif. Le maintien à domicile
aboutissait souvent à une grande solitude. Et lorsque la personne
devenait trop dépendante, elle terminait ses jours, qu’elle le voulût
ou non, dans un établissement médicalisé.

Ce scénario imaginaire
n’est pas pour autant utopique : c’est dès aujourd’hui, en 2008, que
s’amorcent les changements. Dans les pays occidentaux, on prévoit une
augmentation considérable du nombre de personnes âgées dépendantes :
rien qu’en France, selon l’Insee, 10 millions de personnes auront plus
de 75 ans en 2040, dont près de 2 millions atteintes par la maladie
d’Alzheimer. Bien trop pour que toutes soient accueillies dans des
structures spécialisées. C’est pourquoi les pouvoirs publics tentent
d’ores et déjà d’encourager le maintien à domicile, plus économique (1
800 euros par mois en moyenne) que le séjour en maison de retraite
médicalisée (2 500 euros).

Dans notre vie actuelle, vivre vieux
chez soi suppose une multiplication des services à la personne. Mais
cette solution, souhaitée tant pour créer des emplois que pour prendre
en charge la dépendance, s’avère difficile, en raison du manque de
personnel qualifié et de la baisse du montant des retraites. Demain,
c’est donc sur la "gérontechnologie" qu’il faudra avant tout compter
pour restreindre les coûts, soulager les familles et sécuriser le
domicile. Ainsi qu’en ont témoigné les participants au colloque
"Sciences et démocratie" récemment organisé par la communauté
d’agglomération de Grenoble Alpes Métropole, certains de ces
dispositifs d’aide à la personne sont déjà en cours d’évaluation. A
Grenoble, dans des "appartements intelligents" mis au point par
des chercheurs du laboratoire d’ingénierie médicale TIMC-IMAG, on
trouve par exemple une lampe qui s’éclaire d’elle-même dès que le jour
décline, afin de lutter contre l’angoisse nocturne. Ou encore le
visiophone grâce auquel les équipes du centre de télé-assistance
peuvent entrer en contact avec la personne âgée dès réception d’une
alerte.

Verra-t-on à l’avenir se multiplier des aides robotisées
plus sophistiquées ? Un déambulateur intelligent, muni de poignées qui
vont au-devant des mains de l’utilisateur, l’aide à se lever, détecte
et compense ses pertes d’équilibre ? Un distributeur de médicaments,
plateau pivotant préalablement garni et programmé par l’infirmière pour
une semaine, qui se déverrouille et dispense la dose adéquate au jour
et à l’heure prévus ? Des "capteurs de soif" pourraient aussi mesurer
le degré d’hydratation du corps, et émettre un signal pour rappeler à
la personne âgée qu’il est temps de boire. Tous ces prototypes existent
déjà en Europe. Reste à trouver les moyens de leur développement
industriel.

Plus généralement, les capteurs devraient
révolutionner la télé-assistance. Portés sous forme d’un bracelet
électronique ou dans les vêtements, ils analyseront les paramètres
vitaux des personnes âgées (taux d’oxygénation du sang, pression
sanguine, rythme cardiaque) et les transmettront à leur centre de
soins. D’autres encore, placés dans l’appartement, détecteront leurs
troubles du comportement (chute, malaise) et émettront une alarme.

Surveillance
excessive ? Vincent Rialle, maître de conférences à l’université
Joseph-Fourier et praticien hospitalier au CHU de Grenoble, ne néglige
pas le problème éthique. Il fait toutefois valoir que les
gérontechnologies sont destinées avant tout "à améliorer la qualité de vie des personnes âgées à domicile et à faciliter le quotidien de leur entourage".
Mais si ces aides technologiques peuvent éviter ou limiter la
dépendance, elles ne remédieront pas à la solitude. Un problème
qu’anticipent dès aujourd’hui nombre de seniors.

"Le seul moyen de rendre le vieillissement acceptable, c’est de le vivre de manière solidaire",
affirme Monique, 55 ans, qui réfléchit avec un groupe de futurs
retraités à un projet d’habitat autogéré, inspiré de l’expérience des
"coopératives d’habitants" nées en 2002 à Genève (Suisse). "Le
principe consiste à réunir dix à quinze seniors dans un immeuble –
chacun chez soi – avec un local commun qui comportera une salle avec
coin cuisine pour les repas festifs, une buanderie et un studio.
Celui-ci pourra accueillir ultérieurement le cabinet d’une infirmière
qui aura sa propre clientèle et un contrat prioritaire avec le groupe
de seniors"
, explique Charles Fourrey, architecte retraité, à l’origine de plusieurs projets de ce type à Grenoble.

Dans
la même logique, une autre initiative projette de regrouper des seniors
isolés, aux revenus plus modestes, au sein des "Cocons 3S" (cocon pour "colocation, cohabitation, cooptation, convivialité", 3S pour "solidarité, senior, solo").
Il s’agit de maisons où chacun aura sa chambre (de 300 à 480 euros
mensuels). Les résidents partageront les frais et effectueront ensemble
ou à tour de rôle les tâches quotidiennes : courses, ménage,
préparation des repas. Un questionnaire sur leurs habitudes
(alimentation, hygiène, horaires, loisirs) permettra de s’assurer que
les futurs voisins partagent les mêmes goûts et les mêmes valeurs. Le
premier Cocon ouvrira en mai à Aigues-Vives (Gard).

Ces formules
sont aux antipodes du lotissement à l’américaine consacré aux seniors,
excentré et placé sous surveillance électronique, type Sun City à
Phoenix (Arizona), dont plusieurs études dénoncent les effets néfastes
(isolement, vie en vase clos). Selon Marc Mousli, chercheur au
laboratoire en prospective, stratégie et organisations (Lipsor, CNAM),
l’avenir est au retour des seniors en centre-ville. Il leur y sera plus
facile de trouver commerces, loisirs, aide ménagère, services de santé
et transports en commun. Une prédiction d’autant plus réaliste que la
loi no 2005-102 de février 2005 obligeant les villes
françaises à devenir, à l’horizon 2015, accessibles aux personnes
handicapées, profitera aussi aux personnes âgées.

Dernière raison
d’espérer pour les seniors de 2030 : selon Joëlle Gaymu, chercheur à
l’Institut national d’études démographiques (INED), la longévité
masculine sera supérieure à celle d’aujourd’hui. On vieillira donc
davantage en couple… pour le meilleur et pour le pire.

Michaëla Bobasch"

Le Monde

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