Les grands courants socio-anthropologiques
L’alimentation devient un champ de recherche
– Audrey Richards, étudiante de Bronislaw Malinowski,
peut être considérée comme la pionnière de l’anthropologie alimentaire.
Au début du xxe siècle, elle prend pour terrain de recherche les Bembas
de la Rhodésie et s’intéresse à leur mode de vie. Avant ses travaux sur
le mariage, la parenté et les rituels d’initiation des jeunes filles
bembas, elle étudie chez cette tribu leur rapport à l’alimentation et à
la nutrition. Du fruit de ses observations, elle publie un ouvrage (
Hunger and Work in a Savage Tribe
,
Routledge, 1932) et avance la thèse que la nutrition est un processus
plus fondamental que la sexualité car, affirme-t-elle, c’est un besoin
essentiel et même vital, ce que n’est pas la sexualité.
– Le courant culturaliste s’intéresse aussi aux habitudes alimentaires. En 1945, Margaret Mead, alors secrétaire générale du Comité sur les habitudes alimentaires, publie un
Manuel pour l’étude des pratiques alimentaires
(
Bulletin of National Research Council
,
National Academy of Sciences, n° 111). Outre les aspects
anthropologiques, elle insiste sur les éléments biologiques,
socioculturels et psychologiques. L’alimentation s’inscrit dans un
environnement naturel et social.
Le courant structuraliste
– Claude Lévi-Strauss est l’un des pères fondateurs
du structuralisme. Selon ce paradigme, ce ne sont pas les pratiques
alimentaires et ses processus sociaux (comme dans le fonctionnalisme)
qui importent mais les règles et les conventions. L’idée sous-jacente
est que derrière ces dernières agissent des structures profondes.
Quelles sont-elles dans le cas de la cuisine ? Dans son fameux
« triangle culinaire », Lévi-Strauss (
Le Cru et le Cuit
,
Plon, 1964) distingue aux trois sommets : le cuit, le cru et le pourri.
Selon l’anthropologue, le passage du cru au cuit s’opère par un
processus culturel, alors que les passages du cru (ou du cuit) au
pourri sont des processus naturels. Entre les sommets du triangle, des
situations intermédiaires apparaissent. Par exemple, le rôti laisse du
cru à l’intérieur et reste plus proche de la nature alors que le
bouilli, en éliminant totalement le cru, est plus proche de la culture.
– Mary Douglas,
à l’instar de Lévi-Strauss, considère l’alimentation comme un vecteur
de communication, un langage dont la structure peut être révélée à
l’aide d’une grammaire adéquate. Mais les catégories ne doivent pas
masquer que se nourrir est, par-delà un acte symbolique, une action
biologique et un comportement social. Dans son ouvrage
De la souillure. Essai sur les notions de pollutions et de tabou
(La Découverte, 1981), elle montre que nos dégoûts ne sont pas
individuels mais qu’ils sont déterminés par des règles culturelles,
religieuses… Dans cette filiation, le sociologue Pierre Bourdieu avance la thèse que les goûts dépendent de l’origine sociale des mangeurs (
La Distinction. Pratique sociale du jugement
, Minuit, 1979).
Les nouveaux territoires
Sociologie du mangeur
– Impulsés par Edgar Morin dans les années 70, les premiers travaux transdisciplinaires sur l’alimentation sont publiés dans la revue
Communications
(n° 31 en 1979) sous la direction de Claude Fischler, doctorant d’E. Morin. Dans cette approche, il s’agit de comprendre le mangeur qualifié par C. Fischler d’
Homnivore
dans son ouvrage de 1990. Quelles sont ses caractéristiques ?
– Premièrement, tous les mangeurs élaborent un système
classificatoire entre le consommable et le non-consommable, qui n’est
pas purement fonctionnel mais qui renvoie à des représentations, à de
l’imaginaire. Autrement dit, la rationalité des mangeurs n’est pas
purement nutritionnelle ou économique, elle inclut des valeurs.
– Deuxièmement, manger signifie incorporer,
c’est-à-dire s’attribuer les qualités nutritionnelles de l’aliment mais
aussi ses qualités symboliques, voire magiques, selon le principe
« je deviens ce que je mange »
(
Manger magique
, Autrement, 1994).
– Troisièmement, l’omnivore est face à un paradoxe, car il est en même temps néophile (il aime tester de nouvelles nourritures) et néophobe (il a peur de ce qui est nouveau).
La filière alimentaire
–
Cette approche est influencée par les expériences du psychosociologue Kurt Lewin.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain, par
l’intermédiaire du Comité sur les habitudes alimentaires, cherche à
faire consommer des abats et se demande quelle politique de
communication adopter auprès des ménagères. K. Lewin compare deux
méthodes.
– Dans la première, des groupes de ménagères écoutent des conférences sur les bienfaits nutritionnels des abats et sur les modes de préparation.
– Dans la seconde, les ménagères participent à des discussions collectives sur
les nécessité d’un changement alimentaire. Conclusion ? Au bout d’une
semaine, le tiers des femmes qui avaient participé aux discussions
servaient des abats contre seulement 3 % pour celles qui avaient
assisté aux conférences.
– Selon l’heureuse expression du sociologue Jean-Pierre Corbeau,
« de la fourche à la fourchette »
, il y a de nombreuses étapes à étudier pour saisir les changements. Et l’étude de ce qu’il appelle la
« filière du mangeur »
nécessite certes l’examen des discours et des pratiques des
professionnels de l’agroalimentaire (ingénieur, vétérinaire, médecin,
industriel…) mais aussi d’acteurs tels que les médias et les
décideurs (politiques, économiques, juridiques…). Tous interagissent
et innovent, empêchant que les comportements alimentaires ne soient que
le fruit d’une stricte reproduction sociale.
Sociologie de la consommation alimentaire
– Puisant ses origines dans les enquêtes menées sur les budgets des ménages à la fin du xixe siècle (Engels en 1857, ou Maurice Halbwachs dans
La Classe ouvrière et les Niveaux de vie
en 1913), la sociologie de la consommation (Nicolas Herpin,
Sociologie de la consommation
,
La Découverte, 2001) s’appuie sur les sources statistiques pour faire
ressortir de grandes tendances. A partir de 1964, l’Insee réalise tous
les ans des relevés sur les consommations alimentaires des Français à
partir du contenu des paniers et des Caddie. Constat : la « nourriture
des pauvres » à base de féculents est en perte de vitesse alors que la
« nourriture des riches » comportant de la viande et du poisson se
diffuse auprès de toutes les professions et catégories
socioprofessionnelles. Les plats cuisinés et la restauration collective
font une percée fulgurante sous le double mouvement de la féminisation
du marché du travail (elles n’ont plus le temps de préparer les repas)
et de l’urbanisation (la distance domicile-travail s’accroît et rend
plus rare le retour à la maison pour le repas du midi). Depuis le début
des années 90, face aux risques alimentaires, la méthodologie des
enquêtes a changé. Ce ne sont plus seulement les achats mais aussi les
modes de stockage, les opinions qui sont passés au peigne fin par le
Crédoc (Jean-Luc Volatier [dir.],
Enquête Inca sur les consommations alimentaire
s, 2000).
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Pour aller plus loin : va voir et télécharge le rapport d’innovation courts circuits sur l’alimentation responsable
Ce rapport a été présenté lors la soirée les aperos du jeudi spécial soirée verte


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