Communication de crise : le cas Société Générale

Lu dans le le journal du net

La communication de crise à la Société Générale : un cas d’école ?

Rassurer
tant les salariés que les clients et les investisseurs : tel est
l’impératif qui s’est imposé à la banque française quand la crise a
éclaté fin janvier. Comment s’y est-elle pris ? Pour quel résultat ?
Eclairage.

Quand la com’ interne est utilisée en externe

 

Indéniable.
"L’affaire" de la Société Générale restera assurément comme un "cas
d’école" pour nombre d’étudiants en gestion et en management. 4,9
milliards d’euros de pertes en 48 heures. 50 milliards d’encours
"camouflés". Les chiffres feront date. Mais la Société Générale
pourrait très bien être également un cas d’école pour les spécialistes
en communication interne. En effet, en pleine tourmente, à savoir le 29
janvier, son président, Daniel Bouton, se livrait au rare et difficile
exercice du "chat" en direct avec ses salariés. Et de 14h30 à 15h30, se
sont près de 38.000 personnes (sur 130.000 salariés) qui se
connectaient (chiffres communiqués par la direction de la
communication) sur la toile de la SocGen. Première fois dans l’histoire
de la com’ interne que les NTIC étaient utilisées avec autant de
puissance et un tel déploiement.

 

Avec, au moins, un
double effet : la mobilisation exemplaire des salariés derrière leur
entreprise (au point d’envahir le parvis de la Défense par une
manifestation de soutien qui rassembla près de 1.000 personnes) et le
rebond d’une com’ interne utilisée en externe, concentrée autour d’un
média, le "chat du 29" (publié quasi intégralement sur le site de La Tribune le jour même).

Et c’est vrai, qu’à bien des égards, la communication de "La Générale" a été exemplaire.

 

Sur la transparence,
tout d’abord : fraude, avenir du groupe, démission du président, délit
d’initié, doutes chez les clients, éventuel plan social, aucun sujet
n’a été éludé, aucune question épineuse évitée. A la question "Croyez-vous encore possible le maintien de notre marque compte-tenu de l’impact planétaire de cette affaire ?", Daniel Bouton répond : "Buvez-vous aujourd’hui du Perrier avec du Benzène ?",
allusion à une des premières crises médiatiques graves de l’ère
internet (qui avait failli coûter la vie à la célèbre bouteille verte).
Sur l’éventuel délit d’initié de 87 millions d’euros ? "le conseil d’administration a été informé de l’existence d’un problème dimanche 20 janvier à 18H30" répond D.Bouton, "Et a été informé dans le détail de la fraude et de ses conséquences mercredi 23 janvier à 15H30.". Sur sa démission ? "J’ai présenté ma démission comme j’en avais le devoir". Sur la probabilité d’un achat hostile de l’entreprise ? "Je
ne suis pas capable de répondre à la question. Assez rapidement, le
parcours, la création de valeur que cette fraude a gâchée, de 7 euros
par action devrait reprendre"
. Il est rare qu’un président réponde aussi rapidement à des interrogations aussi complexes.

 

Exemplaire, le cas
l’est également pour sa rapidité. 24 heures entre la première "vague
médiatique", TV, radio, journaux dévoilant "l’affaire" et la prise de
parole en interne. Or, les spécialistes savent bien qu’une des
premières vertus d’une communication de crise est de faire vite. De
prendre la parole avant que les rumeurs ne la préemptent, de tenir le
terrain, ne serait-ce que pour tenter de protéger le "contrat
psychologique" entre le salarié et l’entreprise. L’objectif est alors
moins de convaincre, que de faire en sorte que l’entreprise continue
d’être reconnue comme une interlocutrice crédible et fiable. Une
nécessité d’autant plus prégnante que l’on constate désormais une
spectaculaire maturité des salariés face aux messages de l’entreprise.
Insensibles aux mots d’ordre simplistes, habiles décodeurs de la langue
de bois, les "nouveaux" salariés font, à merveille, la part des choses
entre une nécessaire cohésion avec l’entreprise et une adhésion naïve à
des slogans pseudo mobilisateurs. Acteurs mais pas militants, attentifs
mais pas naïfs.

 

Exemplaire, encore
parce que "l’affaire Société Générale" prouve, s’il restait encore des
sceptiques, que la communication interne est désormais sur tous les
fronts. Crise "éthique" ou économique, mobilisation des énergies,
réassurance des salariés, soutien de la "Marque", résistance aux
agressions… elle est l’élément régulateur, la courroie de
transmission indispensable entre l’entreprise, les hommes qui la
composent et l’extérieur. Et qu’au-delà d’une simple "technique de
communication", c’est un des rares rouages de l’entreprise garante de
ce que l’on pourrait appeler un "nouveau contrat social". D’où,
d’ailleurs, une complexification  spectaculaire de ses missions.

 

Numérique dans l’entreprise : la vieille information est morte

 

Enfin,
"le cas Société Générale" est aussi la preuve qu’une nouvelle
révolution est en marche ; celle de la maturité des technologies
numériques dans l’entreprise. Chat, Blogs, Vlogs (vidéo mise en ligne
par des contributeurs) et particulièrement l’intranet ont provoqué des
mutations profondes. Organisationnelles, informationnelles,
fonctionnelles et finalement culturelles. Pour faire une synthèse
rapide, on peut dire qu’en offrant aux salariés un média libérant l’accès à l’information et à la parole, ceux-ci ont imaginé, aussi, un autre rapport au pouvoir. "Les
salariés consomment maintenant les entreprises comme les marques. Ils
consomment l’intérêt des projets auxquels ils s’associent
momentanément, ils consomment le niveau hiérarchique et de salaire dont
ils jouissent, ils consomment les compétences que l’entreprise leur
permet d’acquérir, ils consomment la marque de l’entreprise"
, rappelait récemment un expert de la toile.

De leur côté, "les
directions se comportent comme une marque vis-à-vis de leurs publics
internes qui se comportent comme des clients consommant un service qui
doit être valorisé
".

 

De fait, intranet a
poussé toutes les entreprises et tous les communicants à repenser non
seulement la communication interne mais également les relations entre
l’information et les salariés ainsi que l’ensemble des flux circulants
entre détenteurs de l’information et "consommateurs". Un déplacement
des pôles de pouvoirs que Robert de Backer, rédacteur en chef des cahiers de la communication interne illustre :"Le
"petit chef" régnant par la contrainte et la confiscation de
l’information est débordé. Petit à petit s’instaure le règne du talent
et de la maîtrise de la connaissance. Autonomie et réseau cohabitent".
Et lorsque Daniel Bouton s’adresse directement à ses salariés, c’est bien ce qu’il fait : court-circuiter les "petits chefs".

 

Aujourd’hui les
premiers médias collaboratifs internes ont fait leur apparition en
entreprises : Microsoft, en traditionnel porte-étendard des nouvelles
technologies, compterait déjà plus de 1.500 blogs en interne (1). Dassault
Systèmes a développé dès 2006 un outil de gestion de blog pour créer du
lien entre ses treize équipes commerciales disséminées dans toute la
France.

Principale
difficulté : trouver le bon équilibre. Entre la liberté d’usage du
média et les contraintes de la com’ interne. Entre l’expression
décentralisée et la nécessaire recherche d’un sens commun, entre les
"fausses" informations et la "vraie" langue de bois.  D’ailleurs, qui
s’est posé la question de la véracité des échanges avec Daniel Bouton ?
Et si derrière les pseudos tels que "SG1111", "KIKI 34" ou "Poppy" se
cachaient les ténors du service de com occupant habilement le terrain ?

 

Les technologies sont
prometteuses, l’usage pertinent, les pratiques encore problématiques.
Et les directions de la communication n’ont pas fini de trancher des
questions complexes. Au moins quatre défis s’offrent à elles :
psychologique, en admettant de ne plus maîtriser forcément leurs
supports et leurs réseaux d’informations, technique en apprenant à
gérer la personnalisation de contenu éditorial et la mise en scène de
"galaxies" de contenus, stratégique ; que devient l’image de
l’entreprise dans cet ensemble désordonné ? Enfin, éditorial, en
résolvant une double équation : comment avoir une pertinence de
traitement dans un flot continu de contenus ? Et comment écrire et
organiser ceux-ci pour qu’ils soient vus et lus alors que le
salarié-lecteur est de plus en plus volatile et insaisissable ? Des
réflexions qui façonneront certainement les prochaines années de  la
communication interne. Et les différents "cas d’école".

 

(1) Heureux qui communique. Revue Dirigeant Septembre 2006

EDOUARD RENCKER
PDG, Sequoia

Image_2

Laisser un commentaire