L’offre de produits eco-responsables ne satisfait pas une demande pourtant responsabilisée

Lu dans Strategies

Le développement durable
rencontre un réel écho chez les Français. Mais l’offre de produits «
verts » est insuffisante, les prix sont plus élevés et la
multiplication des labels tourne à la confusion.

         

Hommes
de marketing, réveillez-vous, il y a urgence. L’avenir de la planète
est en jeu. » C’est, en substance, le signal d’alarme tiré mardi
1er avril par Elizabeth Pastore-Reiss, présidente d’Ethicity, cabinet-
conseil en marketing éthique, lors de la présentation de la quatrième
édition de son étude sur les Français et le développement durable,
réalisée en partenariat avec Aegis Media Expert et l’Ademe (Agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Les avancées sont
certes réelles : 90 % des Français connaissent aujourd’hui le
développement durable (+ 13 points par rapport à 2006), 75 %
reconnaissent la nécessité d’agir, les deux tiers déclarent « avoir
changé concrètement leur comportement au cours des douze derniers mois
», ce qui peut aller de la réduction de la consommation d’eau au tri
des déchets ménagers, et 83 % sont d’accord pour marier acte d’achat et
conviction personnelle.

Mais la réalité est tout autre : les «
consommacteurs », issus en majorité des classes aisées et âgées, ne
dépassent pas le seuil des 20 % de la population. « L’achat responsable
reste une affaire de riches et d’intellectuels », commente Elizabeth
Pastore-Reiss, qui note en outre une confusion entre développement
durable et « déconsommation », ce qui ne saurait être de bon augure
pour l’économie. Comment expliquer ce décalage entre intention et acte
d’achat ? Et quelles sont les raisons qui poussent 80 % des
consommateurs à ne rien changer à leurs habitudes ?

Pour
Ethicity, le prix souvent plus élevé des produits dits éthiques est un
frein important. À l’heure du débat sur le pouvoir d’achat, qui est
prêt à payer 9,15 euros les 6 litres de lait bio Lactel au lieu de
5,99 euros pour le même produit classique ? En outre, vouloir s’offrir
des couches-culottes « bio » ou des chaussures « équitables » relève
aujourd’hui du parcours du combattant. De fait, dans bien des secteurs,
c’est le néant. Quand elles existent, les offres « vertes » sont
lancées par des PME. Vendues dans des circuits de distribution
alternatifs, elles bénéficient de budgets promotionnels bien moins
importants que les produits standards.

Quant aux grands groupes,
les professionnels du développement durable reconnaissent qu’ils
traînent des pieds. « Ils restent sceptiques sur l’existence réelle
d’un marché, commente Élisabeth Laville, la fondatrice d’Utopies,
agence-conseil en développement durable. Certes, dans nombre de
secteurs, on note de fortes croissances des produits biologiques et
éthiques, mais cela ne représente pas plus de 1 % de part de marché. Ce
qui, pour les grands groupes, n’est rien. » S’ils sentent un créneau
porteur, ils feront des acquisitions. L’Oréal, par exemple, s’est
emparé de Body Shop, et la marque de cosmétiques biologiques Sanoflor
fait une percée remarquée en pharmacie. Mais de là à ce que L’Oréal
Paris se lance dans le bio…

De même, si les grands
distributeurs ont pris une longueur d’avance sur les marques nationales
en lançant des gammes « bio », « vertes » ou « équitables », ils sont
encore timides. « Ces produits concernent trop souvent une partie
infime de leur offre, comme si tout cela n’était au final qu’une vaste
opération d’image », ajoute Élisabeth Laville, qui s’étonne de voir
Danone se lancer comme une start-up sans moyens dans les yaourts
biologiques avec Les 2 Vaches. « En lançant Essensis, ce groupe montre
qu’il est capable de créer le marché de la beauté par l’alimentation
alors qu’il n’y a franchement aucun besoin urgent ni demande
préexistante. Pourquoi ne pourrait-il pas en faire autant avec sa gamme
bio ? »

Question d’habitude, de volonté peut-être, mais aussi de
culture. Les professionnels du marketing baignent dans le « consommer
plus », non dans le « vendre mieux ». Les yeux rivés sur les chiffres,
ils raisonnent en termes plus quantitatifs que qualitatifs. Pour
intégrer le développement durable dans leurs pratiques, ils doivent
profondément changer leur mode de pensée et de fonctionnement. « Ce qui
n’est pas facile », reconnaît Elizabeth Pastore-Reiss.

       

« Pas de plan B pour la planète »

   

Et
communiquer sur ces sujets neufs n’est pas chose aisée. Ainsi, Rowenta,
en lançant un aspirateur écoconçu, primé en 2006 par le ministère de
l’Écologie, n’a pas souhaité en faire un argument de vente pour des
raisons de simplicité, de compréhension et d’impact du message. Du
coup, la communication de son « Shock Absorber » met en avant son «
respect du mobilier qui l’entoure » et « sa résistance aux chocs » du
quotidien. Les entreprises craignent également d’attirer l’attention
sur leurs points faibles. L’expérience montre également que, sous
couvert de bien faire, elles font l’impasse sur leur principal impact
environnemental. Ce qui les place sous le feu des critiques. Ainsi le
secteur de la lessive, qui mise sur des produits concentrés, avec moins
d’emballage ou compatibles avec un lavage à froid, ne revoit pas pour
autant la composition chimique des formules, dont les impacts sur
l’environnement et la santé sont indéniables.

Reste que pour les
professionnels du développement durable, l’heure du produit éthique a
sonné. Les entreprises ont, jusque-là, prouvé leurs capacités à changer
leurs pratiques corporate (économie d’énergie et d’eau, certification
de sites…). Pour rester cohérentes et crédibles, elles doivent
pousser leur démarche jusqu’au point de vente. Plusieurs d’entre elles
ont annoncé des programmes ambitieux. Ainsi, chez Philips, les produits
« verts » devraient représenter 30 % du chiffre d’affaires d’ici 2012.
Le distributeur Marks & Spencer a aussi pris le taureau par les
cornes pour modifier l’ensemble de son offre. Son programme a été
baptisé « Plan A ». Avec humour et… réalisme : « Parce qu’il n’y a
pas de plan B pour sauver la planète », explique le distributeur.

Certaines
initiatives pourraient faire des émules : le constructeur Toyota a
d’ores et déjà vendu 1,3 million d’unités de sa voiture hybride Prius
dans le monde, ce qui commence à contrarier la concurrence. Les géants
de l’alimentaire, dont Kraft Foods via sa marque Jacques Vabre et,
récemment, Unilever avec Lipton commercialisent du café et du thé
certifiés par l’ONG environnementale Rainforest Alliance.

       

Foisonnement d’initiatives

   

D’autres
initiatives devraient gonfler l’offre et alimenter la demande. À
commencer par la tenue, du 10 au 13 avril 2008, de Planète durable,
premier salon grand public consacré à l’écoconsommation au quotidien
(www.planete-durable.com). On peut également citer le site Mescourses
pourlaplanete.com, premier guide pratique en ligne de la consommation
responsable lancé fin 2007 par Élisabeth Laville. Ou encore la boutique
Aboneobio.com qui, depuis novembre dernier, livre des colis aux
amateurs de produits biologiques. Sans oublier la future carte de
fidélité de l’association Vraiment durable pour « consomm- acteurs »
(lire ci-dessous).

De son côté, le gouvernement, dans le cadre
du Grenelle de l’environnement, a pris plusieurs mesures pour favoriser
la consommation responsable. Parmi elles, le système de bonus-malus
selon l’émission de CO2 mis en place pour l’achat de voitures neuves,
qui devrait être étendu à vingt gammes de produits d’ici la fin de
l’année. Le gouvernement prône également l’étiquetage environnemental
des produits de grande consommation. Après l’annonce par Casino
d’afficher en 2008 le bilan carbone de 3 000 de ses produits (émissions
de CO2, possibilité de recyclage et kilomètres parcourus), Intermarché
vient d’annoncer le lancement de son Écolo Pass, axé sur le tri des
déchets (lire aussi page 22).

Un foisonnement d’initiatives qui
n’est pas toujours vu d’un bon œil. « Le consommateur " moyen " n’a pas
la culture suffisante pour faire lui-même des choix rationnels et
cohérents en matière d’environnement », rappelle Stéphane Le Pochat,
spécialiste en consommation durable de l’Ademe. D’où la nécessité d’un
étiquetage fiable, rigoureux et pertinent. Or le marché, en se
réveillant, voit la multiplication de labels, certains officiels et
certifiés, d’autres autodéclarés et plus fantaisistes. De quoi
déboussoler un peu plus le consommateur et s’avérer contre-productif
pour sauver la planète. Décidément, le développement durable n’a rien
d’un long fleuve tranquille.

Delphine Masson

   

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