La concertation des parties prenantes : ASSOCIATIONS et POUVOIRS PUBLICS face aux suite du GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT. Leçons pour le MARKETING.

Lu dans Les Échos

Le projet de loi d’orientation du Grenelle de l’environnement a été
présenté le 30 avril par le ministre de l’Ecologie. Les associations
environnementales, dont France Nature Environnement et Greenpeace,
s’inquiètent des moyens financiers qui seront mobilisés mais
reconnaissent que le projet de loi est conforme au Grenelle.
Dans
l’histoire de la concertation environnementale, ce résultat est unique.
Car si on étudie l’aménagement du territoire et la construction des
infrastructures, on s’aperçoit que la concertation y fait tous les
jours la preuve de ses insuffisances. Cela parce qu’aucune des trois
grandes stratégies existantes n’a pour objectif la production des
savoirs et des expertises par la collaboration.

Commençons par la
stratégie d’information, qui a pour objectif de susciter l’adhésion.
Elle consiste à informer le public par différents moyens, des
plaquettes aux numéros verts en passant par l’organisation de concours
comme celui qui a abouti à baptiser « Isséane » la nouvelle usine
d’incinération du Syctom de l’agglomération parisienne. Le trait
saillant de la stratégie d’information est que les données techniques
et scientifiques y sont rudimentaires, voire inexistantes. Selon
l’International Association for Public Participation, les discours des
experts peuvent augmenter la visibilité des sujets délicats et, par
conséquent, l’angoisse du public.De fait, les aménageurs préfèrent
occulter les sordides aspects techniques… jusqu’au jour où la demande
de technicité devient irrésistible. C’est ce qui s’est passé dans le
projet de construction du nouveau réacteur nucléaire EPR à Flamanville.
A l’automne 2005, le réseau Sortir du nucléaire a mis en doute la
capacité du réacteur à résister à un attentat terroriste de type 11
Septembre. EDF a ainsi été forcée de publier le rapport préliminaire de
sûreté de sa future centrale, 20 chapitres d’une littérature ultra
technique que tout un chacun peut désormais consulter sur le site Web
consacré au projet.

De son côté, la stratégie de négociation vise
à acheter l’acceptation. Elle consiste à harmoniser les intérêts des
parties prenantes et du porteur de projet grâce à une panoplie
d’incitatifs financiers, des protocoles d’acquisition foncière aux
indemnisations de préjudice visuel. Parce qu’elle engage des contacts
rapprochés avec des acteurs directement touchés, la stratégie de
négociation peut difficilement s’en tenir au modèle de l’occultation.
Des éléments techniques et scientifiques à l’appui du projet sont bien
délivrés aux parties prenantes par des experts certifiés. Cette
stratégie prend donc acte de la centralité des techniques et des
sciences dans nos sociétés. Elle s’inscrit néanmoins dans une relation
pédagogique qui présuppose l’inégalité cognitive des interlocuteurs
.
Ceux qui savent ont pour mission d’éclairer ceux qui ne savent pas.
Cette relation tient jusqu’au jour où les parties prenantes se mettent
à s’intéresser aux savoirs scientifiques et techniques produits par le
porteur de projet. Ainsi, dans le projet de ligne à grande vitesse Sud
Europe Atlantique devant relier Paris à l’Espagne, les élus et
riverains de la section Tours-Angoulême s’opposent à Réseau Ferré de
France. S’ils revendiquent une meilleure compensation financière, leurs
demandes portent tout autant sur les caractéristiques techniques du
projet : niveau de la ligne, calcul du bruit, ou protections
acoustiques.

La stratégie de consultation vise, quant à elle, à
canaliser l’opposition. Elle consiste à mettre en place des espaces
politiques où un tiers garantit soit le recueil des avis (enquête
publique), soit l’échange de vues avec le porteur de projet (débat
public). Sous la forme du débat public, la consultation rompt très
nettement avec le modèle de la pédagogie. Elle place les associations,
écologistes notamment, sur un pied d’égalité avec le porteur de projet,
dont elle fait ressortir les postulats en commandant des
contre-expertises. Cette stratégie met donc en oeuvre un modèle
pluraliste qui prend acte de l’insertion sociale et culturelle du
savoir.
Mais elle parvient rarement à juguler l’opposition parce que
les connaissances qu’elle génère ne sont pas partagées. Ainsi du débat
public de 2006 sur le projet de prolongement de la Francilienne dans
l’Ouest parisien.

Face aux hypothèses de tracés proposées par le
ministère des Transports, et toutes contestées, la mairie d’Andrésy
avait conçu une option alternative. Mais celle-ci a à son tour été
critiquée par d’autres maires – ce qui n’est guère surprenant
puisqu’ils n’avaient pas été associés à son élaboration. Au final, le
ministère s’en est tenu à l’un des tracés qu’il avait lui-même proposés
et sa décision donne aujourd’hui lieu à différentes actions de rejet,
dont plusieurs recours en annulation.

On le voit, nos stratégies
de concertation ratent leur cible. Les connaissances techniques et
scientifiques y sont escamotées, monopolisées ou antagoniques, alors
qu’il faudrait au contraire en favoriser l’élaboration conjointe avec
les parties prenantes.
L’enjeu dépasse largement les décisions
d’implantation des grands systèmes techniques. Sont aussi concernées la
réduction de l’empreinte écologique des organisations, la gestion des
risques sanitaires, industriels et environ- nementaux et, « last but
not least », l’innovation technique et scientifique – la controverse
sur les organismes génétiquement modifiés nous l’a assez montré. Si la
« société de la connaissance » doit avoir un contenu politique, c’est
bien celui-là : seuls des savoirs et des expertises partagés,
socialement robustes, pourront déboucher sur des actions pertinentes et
assurer un développement durable.

EVE SEGUIN, politologue, enseigne à l’Université du Québec à Montréal

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