
La PowerPointite ou syndrome
PowerPoint est un virus qui contamine tous les conférenciers et
discoureurs. Il provoque chez leurs auditeurs bâillements, soupirs et
autres symptômes caractéristiques d’une forte crise d’ennui.
Rassurez-vous le pire est à venir.
Lorsque les orateurs des temps modernes mitonnent une
présentation, avant de penser aux contenu, ils pensent au contenant et
sortent leur casserole fétiche : le logiciel Powerpoint. Avec lui, pas
besoin de se gratter les méninges pour imaginer une recette originale.
La préparation, étayée par quelques transparents sera assez solide et
consistante pour nourrir les esprits de leurs futurs auditeurs.
Lorsqu’on s’interroge sur leur inébranlable confiance
dans ce logiciel, les tombés dans des barils de psy pensent qu’elle est
à mettre sur le compte de son appartenance à une suite (la suite Office
de Microsoft). Suggérant l’existence d’un palace, elle met du luxe dans
l’esprit de l’utilisateur et lui fait croire que, en l’utilisant, il
peut pénétrer dans cet univers !
Comme cette pyscho-analyse est susceptible de donner
envie de faire une thèse sur les mouches qui volent sur le dos, on peut
écouter les accros évoquer leur dépendance.
A les entendre, PowerPoint est tout d’abord une
béquille qui leur permet de ne pas avoir l’air d’un ballot aux bras
ballants : « Quant je fais défiler les transparents, je focalise le
regard des auditeurs et j’ai à ce moment-là l’impression d’être le roi
du monde. », dit un contaminé. Si l’on comprend bien, plus on s’efface
pour mettre en valeur ses transparents, moins on se sent transparent !
Si cette logique pour fin de soirée arrosée vous laisse
septique, peut-être serait vous sensible à celle de l’infinie solitude
du rhéteur devant une assemblée d’auditeurs anesthésiés par les
précédents Powerpoint : « Lorsqu’on fait une présentation, on se sent
terriblement seul. Le support visuel permet de s’appuyer sur du solide
et d’éviter les sorties de pistes fatales. », affirme un marathonien du
discours. En résumé, un discours sans PowerPoint, c’est comme une
voiture sans essuie-glace. A la moindre perturbation atmosphérique,
c’est la catastrophe.
Si Powerpoint est une bouée de sauvetage pour
discoureurs en péril, c’est aussi un carcan.
L’outil fabrique le discours. Les orateurs posent sur leurs
diapositives les mots qu’ils liront. Ils disposent de deux barils (un
sonore, un visuel) de mots pour laver plus blanc les esprits. Si les
auditeurs peuvent être agacés par cette répétition, cela n’effleure pas
l’orateur qui a l’impression d’enfoncer le clou et donc de construire
une bâtisse plus solide.
Faire une présentation qui en jette mobilise temps et
énergies. Les orateurs passent des lustres à trouver les typos, les
images qui vont impressionner leurs auditeurs. Le logiciel libérant
leur créativité, ils ont l’impression d’être des Einstein de la
création. Ces amusants travaux pratiques font que ce support visuel qui
devrait rester accessoire devient essentiel. Cette inversion des
priorités brouille le propos. C’est comme si, dans un film, on modifie
le mixage son en mettant la musique en avant-scène sonore et les
dialogues en arrière-plan !
Ce sophistiqué pervers de PowerPoint tire également la
couverture à soi en transformant les pourcentages en camembert,
histogramme et au fil de ses versions en des formes plus subtiles.
C’est tellement magique que les orateurs se croient obligés d’utiliser
cette subtilité. Résultat, des statistiques dénués de tous intérêts
alimentent leurs argumentaires !
Lors de la présentation, Powerpoint est un boulet qui interdit toute souplesse.
Au démarrage de la présentation, l’artiste du support
visuel attend que ses laborieux barbouillages typographiques provoquent
des manifestations d’enthousiasme. Comme ses œuvres sont souvent des
crimes de lèse-retine, il n’y a le droit qu’à des soupirs. Accusant le
coup, ses premières phrases sont servies avec une sauce soporifique
fatale pour les quelques réveillés existants.
Après ce décalage initial, rien ne va plus. Les
transparents actionnés d’un coup de clic prennent de l’avance. Soit
l’orateur s’épuise à pédaler dans le vide pour rattraper le retard,
soit il revient en arrière et perd le fil du discours. Pour éviter, un
deuxième décalage, il s’interdit tous nouveaux clics et découvre vite
qu’il a plusieurs transparents de retard. C’est alors l’affolement. Il
bafouille, maugrée, s’emmêle les mots. La chute arrive lorsque
l’animateur lui annonce qu’il doit accélérer sa présentation. Il fait
défiler les transparents en vitesse accélérée en les déchiffrant de
manière machinale. Sa présentation devient alors aussi excitante qu’une
séance de roulette chez le dentiste.
Certains esprits confiants peuvent penser que la
maladie ne va durer que le temps d’une mode. Ils ont sans doute raison,
mais ce qu’ils ignorent, c’est que le pire est à venir. Demain, équipés
de gants de simulation de mouvement fabriqués par le Gesture Studios de
Los Angeles (www.gesturestudios.com), les orateurs se transformeront en
chefs d’orchestre. Debout devant un écran géant, ils démarreront une
vidéo, feront pivoter un objet 3D, saisiront et déplaceront un texte.
Leur prestation devant être visuelle et corporelle, ils ont encore
moins de temps à consacrer au contenu du discours. Pendant ces pensum,
il nous restera qu’à relire Paul Virillo qui dit : « Avec des nouvelles
technologies, nous assistons à la disparition inéluctable de l’auteur
ou du créateur au profit d’une marque ? »

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