
Challamel, jeune et brillant entrepreneur de 36 ans, diplômé d’HEC,
ancien de L’Oréal et du Boston Consulting Group, en appelle à un
changement radical dans notre manière de conduire l’innovation.
Pour lui, la frontière invisible séparant les personnes ayant des idées
de celles qui les exécutent doit disparaître. Car seule la capacité à
mobiliser toutes les énergies pour inventer l’avenir ensemble garantit
la survie des entreprises, en leur assurant un avantage compétitif
durable.
interview de brice challamel
Quelle réflexion délivrez-vous dans cet ouvrage ?
B.C
: Le Matin du 8e Jour traite de l’évolution du management. Nos
organisations et nos processus économiques sont en effet inspirés de
ceux des ateliers du XIXe siècle, au sein desquels un artisan
charismatique et talentueux inventait ou transmettait un savoir-faire
personnel. Le rôle des managers au sein des premières grandes
entreprises était de maîtriser l’application des instructions qu’ils
recevaient. Cette posture n’est cependant plus tenable, pour trois
raisons. La première est l’accélération et la diversification des
cycles économiques, qui dépassent dorénavant la capacité d’un ou de
quelques hommes, aussi compétents soient-ils. La seconde est
l’apparition d’une population de managers plus éduquée qui attend, avec
beaucoup de bon sens, que soient entendues leurs propositions. La
troisième est enfin le développement de nouvelles méthodes, qui rendent
possible une collaboration efficace transformant la diversité des
perspectives en avantages compétitifs durables, par le biais de la
maîtrise de l’innovation collective. Ces facteurs de changement,
structurels et durables, s’appliquent à tous les domaines de l’économie
comme nous le démontrons dans les nombreux exemples évoqués dans le
livre. Ils font notamment apparaître de nouveaux acteurs qui
bouleversent leurs marchés, comme Apple face à Kodak ou Calvin Klein
face à Chanel. Mais ils permettent aussi aux acteurs traditionnels, qui
en tiennent compte, de conserver leur avance, comme le démontrent les
succès de SEB dans le petit électroménager ou de Thalès dans
l’industrie de la défense. De ce point de vue, nous sommes réellement
en train d’assister à un changement d’ère économique. D’où le titre du
livre.
Comment les entreprises peuvent-elles distiller l’esprit d’innovation en interne ?
B.C : Plus que d’un esprit, il faudrait
parler de la mise en place d’une culture de l’innovation, qui sous-tend
l’ensemble des comportements individuels et des processus collectifs de
l’entreprise. L’exemple d’Apple est édifiant à cet égard. L’entreprise
était à l’origine basée sur une conception traditionnelle du
management, le créateur solitaire étant Steve Jobs. Cette organisation
a conduit à des succès initiaux lors de l’émergence du marché de la
micro informatique, puis à des échecs retentissants comme le lancement
raté du Newton face au Palm, provoquant le départ du fondateur. Lorsque
Steve Jobs revient au sein de l’entreprise, après une cure d’humilité
due à l’échec de Next et un solide apprentissage des méthodes
d’innovation collective sous la houlette de John Lasseter au sein des
studios Pixar, il tente à nouveau de relever le défi de la «
convergence numérique mobile ». Le Newton était une tentative d’entrer
dans la course sanctionnée par un rejet du marché, l’iPod est une
seconde tentative couronnée par un engouement sans précédent. Or Apple
s’est relevé et a tout changé entre le Newton et l’iPod, qui est le
résultat d’un projet conduit par un consultant externe recruté en CDD
pour 8 semaines, sans utiliser de technologie exclusive à Apple ! Tous
les réseaux sont mis à contribution, toutes les idées sont les
bienvenues. Le jardin d’Éden et sa pomme sont devenus une vaste forêt
ouverte et vivante. Et le succès est au rendez-vous. Fulgurant. Plus
important, il est durable car cette organisation permet d’innover à un
rythme impossible à suivre par des systèmes de management traditionnels
comme ceux de Microsoft ou Sony.
Quels sont les points clés de cette culture de l’innovation ?
B.C : Le premier et principal point clé
est l’acceptation de la diversité des perspectives, et la mise en place
des conditions de leur confrontation bienveillante et constructive au
service de la mission de l’entreprise. Cette diversité peut s’exprimer
au sein d’équipes resserrées, qui s’apparentent parfois à de véritables
« sociétés secrètes » au coeur même de l’entreprise qui les héberge. Le
second est la définition et la communication de la mission de
l’entreprise elle même par sa Direction, sans laquelle l’organisation
peut se perdre dans l’exécution des tâches, qui ne sont en fait que de
simples moyens. L’innovation est alors détournée à des fins inutiles et
les énergies sont gaspillées. Enfin, il est important de souligner que
le principal facteur d’appropriation d’une culture d’entreprise est la
reconnaissance collective de sa réussite. Si l’entreprise ne sait pas
valoriser ce mode de management et démontrer son impact dans la
réussite finale, si elle ne met pas en oeuvre les suggestions et ne
reconnaît pas la valeur des contradictions constructives, elle échouera
in fine malgré tous les moyens mis en oeuvre.
Comment lever les freins à l’innovation ?
B.C : Le frein le plus solide et le
plus dangereux au sein des organisations tient à la mise en avant de
perspectives subjectives et incertaines dès le départ d’une réflexion,
ou toute autre forme de verrouillage intellectuel a priori. C’est le
basculement de la curiosité à l’expertise comme base de réflexion,
l’absence de remise en cause des fonctionnements traditionnels et qui
ont démontré leur efficacité… mais dont rien ne démontre qu’ils
seront pertinents à l’avenir. Il est perceptible dans la manière même
dont les questions sont posées, avant même que des idées soient
proposées. « Comment faire vivre une expérience inoubliable à nos
clients ? » est un début beaucoup plus prometteur que « Nos clients
sont volages, comment baisser nos prix pour les fidéliser ? » C’est ce
frein qu’il est le plus urgent et le plus utile de lever, en s’ouvrant
à la diversité des perspectives par le dialogue en interne, les
tournées terrain, les visites d’autres pays ou d’autres entreprises,
l’invitation de conférenciers ayant des parcours originaux, etc. En
redonnant envie aux managers « d’écouter avant de réfléchir » !
Que doivent « désapprendre » les managers de l’innovation ?
B.C : Pour nous débarrasser de ces
hypothèses de départ, qui nous freinent dans les démarches
d’innovation, nous pourrions être tentés de faire abstraction de ce que
nous savons et de « désapprendre ». La manière de faire des managers
n’est cependant jamais « mauvaise », elle n’est simplement ni la seule
ni la meilleure a priori. Les managers doivent donc plutôt mettre leur
curiosité d’enfant au service de leur intelligence d’adulte, et
s’ouvrir aux perspectives de l’ensemble des acteurs de leur
environnement. Ils bénéficient pour cela de communautés émergentes qui
se développent depuis plusieurs années, centrées sur des affinités ou
des passions communes, et qui complètent dorénavant les anciennes
communautés de naissance telles que la famille ou l’Eglise. Ces
nouvelles appartenances sont l’une des clés du succès des cultures
d’innovation collectives, que l’on voit apparaître en entreprise et qui
deviennent parfois de véritables méthodes opérationnelles. L’une des
plus emblématiques, décrite dans l’ouvrage, est celle qui a vu Procter
& Gamble passer de la R&D pour « Recherche & Développement
» à la C&D pour « Connexion & Développement » ! Les managers
doivent donc apprendre à collaborer toujours plus efficacement pour
aller au-delà de ce qu’ils savent déjà, qu’il s’agisse d’acquérir de
nouvelles informations ou de nouvelles méthodes. Comprenant ainsi de
nouvelles perspectives, ils connaîtront toujours les anciennes et
auront dorénavant le choix d’utiliser les unes ou les autres au service
de leurs missions. Et peut-être même, à terme, le recul nécessaire sur
ces perspectives successives pour anticiper les suivantes avec plus de
pertinence et de sérénité…
Quels sont les exemples à suivre et comment les abordez-vous ?
B.C : Comme nous l’avons vu, il existe
un nombre considérable d’exemples et même de modèles d’organisations
qui ont développé une véritable culture d’innovation collective, et
réinventent avec succès les moyens d’accomplir leurs missions grâce à
cette culture. De SEB à Thales, d’Apple à Calvin Klein, de Lego au
Cirque du Soleil… Ils forment une chaîne d’excellence qui passe par
tous les pays, toutes les industries et tous les managers. Ils
démontrent concrètement la possibilité de passer avec succès du
management directif des créateurs individuels au management
collaboratif des « Adam et Eve » de notre nouvelle ère économique.
J’essaie néanmoins d’illustrer mon propos par quelques cas exemplaires,
de manière approfondie et factuelle. Surtout, je prends soin d’éviter
autant que possible les deux ravins qui bordent la route : extraire des
« règles d’or » immuables, ou au contraire raconter des histoires sans
prendre de recul. Je fais la moitié du chemin, en tirant quelques
pistes de réflexion de ces exemples, pour laisser au lecteur le loisir
de faire l’autre moitié de ce chemin en les adaptant à ses propres
besoins, sans l’enfermer dans des interprétations trop définitives.
L’objectif du livre dans son ensemble
est d’ailleurs plus de faciliter une évolution dans la perspective des
lecteurs sur le monde qui nous entoure que de leur donner des règles de
comportement, ou de leur dire quoi faire.
Posté sur : le vide poches / planning stratégique
Posté par : jérémy dumont
Source : Eric Roubert

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