Dominique Wolton, chercheur au CNRS, critique l’emballement des gouvernants pour le Web.

Séance de dédicace de Ségolène Royal, en janvier à Saint-Brieux. Photo Fabrice Picard. VU
Que pensez-vous de l’engouement des dirigeants politiques pour les réseaux communautaires, les forums ou les blogs Internet ?
Il faut relativiser historiquement. Un tuyau supplémentaire, quelle
que soit sa puissance ou son interactivité, ne suffit pas à changer les
rapports sociaux, culturels et politiques. Ce phénomène de nouveaux
systèmes de communication a déjà existé. On s’aperçoit au bout d’un
moment qu’il n’a pas forcément les vertus qu’on lui prêtait au départ.
Le tuyau est le même, mais les sociétés et les cultures sont
différentes. Quand les radios libres et les chaînes de télé
communautaires sont apparues, tout le monde a célébré une nouvelle
critique de la politique, des modes de vies. Finalement, ces chaînes
communautaires ont disparu, et les radios libres sont intégrées dans
des groupes de communication.
Vous ne pensez pas qu’Internet révolutionne les rapports entre politiques et citoyens ?
C’est vrai qu’Internet constitue un contre-pouvoir. La presse
écrite et audiovisuelle a tendance à s’institutionnaliser, et donc à
limiter l’expression des citoyens. En réaction, ces derniers, ceux de
15 à 45 ans car tout le monde ne passe pas sa vie sur Internet, se sont
mis à utiliser le Web pour contourner les médias officiels. En outre,
tout le monde a désormais accès à énormément d’informations, ce qui
représente un progrès inouï. L’émergence de ces nouveaux réseaux permet
de s’exprimer, de faire passer de nouveaux messages et parfois de mener
des luttes politiques, ce qu’ont bien compris les ONG. C’est le côté
positif de ces systèmes d’information, qui ne sont pas forcément
toujours un média.
Il y a donc un revers de la médaille ?
Evidemment. Les hommes politiques, qui sont déjà sous pression,
s’imaginent qu’avec ces nouveaux moyens de communication ils vont
échapper à la tyrannie journalistique et instaurer un lien direct avec
le public. D’où l’explosion des blogs et forums. L’ennui, c’est que ce
type d’activité est chronophage et ne remplace ni les médias
traditionnels, ni surtout les contacts humains et sociaux, et encore
moins l’action. Cela oblige donc l’homme politique à gérer encore plus
de flux d’informations et d’interactions. Au risque d’une saturation du
message politique.
D’autre part, il y a une illusion de la transparence.
L’action politique, c’est autre chose que savoir en permanence ce que
dit l’homme politique. Ce dernier a besoin de silence, de durée. Il ne
peut être constamment dans une relation interactive. Plutôt que
d’améliorer la démocratie, trop d’interactivité risque d’accentuer
l’agitation politico-médiatico-démocratique. Le public rentre dans une
sorte de voyeurisme vis-à-vis des hommes politiques : il veut en savoir
toujours plus tout en n’étant jamais rassuré. Avec un risque de
poujadisme : si on sait autant de choses, c’est qu’on nous en cache
encore plus. La politique, c’est compliqué et lent. Il ne faut pas
céder à l’idéologie technique.
Sur le fond, Internet ne révolutionnera donc pas la manière de faire de la politique ?
Il faut sortir du fantasme de la toute-puissance du tuyau pour
transformer la politique. Comme il faut sortir de l’illusion de croire
que, si on contrôle un média, on contrôle les consciences. Ce n’est pas
parce que l’on tient des groupes de communication que l’on tient le
pays. On ne tient pas les peuples (sauf en cas de dictature, et encore)
par la concentration des médias. Le silence du récepteur ne veut pas
dire adhésion aux messages qu’il reçoit, surtout s’ils vont tous dans
le même sens. La communication politique est un jeu compliqué à trois
acteurs – hommes politiques, médias et opinion publique. Attention au
déséquilibre, dont aucun ne sera finalement bénéficiaire.
Qu’est-ce qui change alors ?
Nathalie Raulin
Posté sur : levidepoches.fr/echange
Posté par : Loïc LAMY
source : Libération

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