Corps et espace : du confort au bien-être, les nouvelles attentes des consommateurs, par Caroline Rosier

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Déverbal du latin
chrétien confortare, "renforcer" et "consoler,
réconforter"
également utilisé dans le vocabulaire
médical, le mot "confort" apparaît vers 1050
dans la Chanson de Roland au sens de "consolation, soutien".
Il tombe en désuétude lorsque Richelet juge le terme vieilli.
Nous sommes alors en 1680.

L'apparition du mot confort au sens de "bien-être matériel"
date de 1842. Le Dictionnaire de l'Académie mentionne qu'il s'agit
là d'un néologisme. Le mot a été emprunté
à l'anglais comfort, lui-même récupéré
de l'ancien français. Tout en conservant son sens moral, comfort
en était venu à désigner un état de bien-être
physique et matériel (1814) et, par métonymie, les conditions
objectives de cet état (1848). Il s'est répandu en français
avec ce sens objectif. Il concurrence ainsi le terme "confortable".
En 1873, le Littré en donne la définition suivante : "secours,
assistance"
et "tout ce qui constitue le bien-être
matériel et les aisances de la vie. Les Anglais ont un grand amour
pour le confort."

A la fin du 19ème, le confort devient un des axes fondateurs
de l'idéologie du progrès en s'inscrivant dans la logique
d'extension du modèle bourgeois à l'ensemble des classes sociales.
Ce modèle se fonde sur un discours hygiéniste, une nouvelle
conception de la cellule familiale et par conséquent sur une approche
nouvelle des fonctions de l'habitat. Nous passons d'un lieu collectif à
un lieu subdivisé en parcelles individuelles et intimes.

Au cours du 20ème et plus significativement après 1945, le
confort se chosifie et se massifie au point de devenir progressivement un
ensemble de biens monétairement accessibles. Dans cette logique,
les objets ne s'adaptent plus aux efforts corporels, mais tendent à
remplacer le corps-lui même.

Celui-ci devient un corps-machine auquel on propose d'ajouter un certain
nombre de prothèses techniques (robinet, chauffage, sèche-cheveux,
ascenseur, télécommandes etc.) en vue de le libérer
du tripalium, c'est-à-dire du "supplice" de produire
un effort. Les efforts à produire se minimalisent tant qu'on en arrive
au constat formulé par Baudrillard: "A l'appréhension
des objets qui intéressait tout le corps se sont substitués
le contact (pied ou main) et le contrôle (regard parfois ouïe)."

Baudrillard rejoint ici la thèse de Bachelard selon laquelle nous
serions passés d'un champ vertical, en profondeur, à un champ
horizontal, en étendue. "Le chez soi n'est plus qu'une simple
horizontalité […] Au manque des valeurs intimes de verticalité
" ajoute Bachelard, " il faut adjoindre le manque de cosmicité
de la maison des grandes villes."

Dans les représentations traditionnelles de l'objet maison, celle-ci
est l'équivalent symbolique du corps humain, que ce soit dans son
individualité ou dans son investissement dans une structure familiale
: "les meubles se regardent, se gênent, s'impliquent dans
une unité qui est moins spatiale que d'ordre moral. Ils s'ordonnent
autour d'un axe qui assure la chronologie régulière des conduites
; la présence symbolique de la famille à elle-même."

Dans la maison moderne, les objets ne sont plus environnés d'un théâtre
de gestes dont ils étaient les accessoires. Comme le note Baudrillard,
dans la mesure où le comportement imposé par les objets techniques
est discontinu, "succession de gestes pauvres, de gestes-signes
dont le rythme est effacé, […] nous expérimentons dans
nos pratiques combien s'exténue la médiation gestuelle entre
l'homme et les choses"
. Aussi, la participation active à
l'environnement en vient-elle à se limiter aux extrémités
du corps.

L'espace
habité est de moins en moins vécu sur le mode d'un prolongement
du corps : il cesse d'être culture pour devenir tout entier prothèse.
Cette effroyable limitation du corps prive celui-ci de la dimension symbolique
qui l'entourait dans l'espace privé. Initié par les écologistes
et les divers mouvements qui ont suivis Mai 68, le nouveau discours relatif
au confort remet alors en cause la standardisation des modes de vie et la
disparition de la Nature et de ses cycles dans la quotidienneté.

La question du confort s'est ainsi posée en termes de "qualité
de vie"
, et ce très tôt, dès la fin des années
70, moment où l'on voit poindre de nouveaux besoins. On parle de
"corps confortable" : conception nouvelle du corps dont
il s'agit de se soucier au niveau des apparences extérieures mais
aussi au niveau d'un mieux-être intérieur, d'un équilibre
; cette recherche devenant symptomatique d'une époque.

Loin d'affirmer que la technique ou l'économique ne sont plus des
facteurs de premier ordre dans l'évolution du procès du confort,
admettons plutôt qu'ils ne suffisent plus à répondre
aux interrogations et aux attentes d'une partie des Occidentaux. Construit
sur les failles du confort traditionnel, le discours du " bien-être
" qui considère le corps comme expérience sensitive est
devenu aujourd'hui un axe incontournable dans la démarche marketing
de différents secteurs d'activité comme l'hygiène-beauté,
la décoration, la santé ou encore le textile (polysensorialité,
parfums d'ambiance…). Ce discours semble entrer dans une tendance socio-culturelle
lourde caractérisée par la quête d'une harmonie vitale,
de produits "anti-stress", de "lâcher-prise".
 

Plus significatif encore, le confort du "corps social"
est aujourd'hui représenté sur le mode de l'expérimentation
individuelle et sensitive. "Faire du ciel le plus bel endroit de
la Terre"
(Air France), "Prenez le temps d'aller vite"
(TVG). Ces nouvelles formes discursives construisent un univers du bien-être
dans lequel sont injectés une vision du corps comme lieu de sensations
ainsi qu'une nouvelle temporalité.

Le corps devient fusion avec l'environnement, il ne fait plus qu'un avec
lui. Le confort s'est voulu d'abord un supplément nécessaire
dans le cheminement progressiste, il a peu à peu effacé le
corps de l'espace et l'a réduit en spectateur-esclave. Le bien-être
s'affirme comme un dépassement de cette aliénation par la
synthèse et l'adéquation parfaite. Des objets qui nous assemblent
et qui nous ressemblent. Et nous-même peut-être qui, pour les
publicitaires, ressemblons de plus en plus à des objets.

Caroline
Rosier
Du Confort au bien-être sensoriel : positionnement
et territoires de communication des marques de parfum d'ambiance,
Mémoire de DESS Marketing et Politiques de Communication, CELSA,
Université Paris IV-Sorbonne.

Auteur : Caroline Rosier
Source : E-dito
Crédits : Noflickr
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : levidepoches/expression

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