Intégrer des lead user dans le processus de conception et innovation : les utilisateurs à l’avant-garde d’un domaine, ayant un fort intérêt à innover pour eux-mêmes, imaginant des solutions qui répondent à des attentes qui vont se généralise

Intégration des utilisateurs dans le cycle de développement des innovations
Guy Parmentier -2006
http://www.theinnovation.eu

Pour
créer de nouveaux produits, les méthodes classiques proposent d’écouter
les utilisateurs pour déterminer des besoins existants ou émergeants,
de les agréger en grandes catégories et de produire en masse afin
réaliser des économies d’échelle. Cependant ce procédé permet rarement
de réaliser des innovations radicales, ni d’anticiper des besoins “en
devenir” qui pourrait s’avérer une formidable source d’innovation. Le
problème provient du fait qu’il est extrêmement complexe et coûteux
d’extraire de l’information sur les besoins d’utilisateur et de la
transférer chez le producteur, d’autant plus que l’utilisateur est
souvent bien incapable de formaliser ses besoins de manière explicite.
Von Hippel a montré que ce problème est lié à la nature de
l’information sur les besoins d’utilisateur : une information fortement
rattachée au contexte de l’utilisateur (stickly information) et
possédant une forte viscosité (stickiness). La viscosité de
l’information est définit comme la dépense progressive exigée pour la
transférer dans un lieu donné sous une forme utilisable pour un
chercheur d’information (Von Hippel, 1994). Pour les entreprises le
coût de récolte de cette information est élevé. Elles sont obligées de
multiplier les études de marché pour s’intéresser à des segments de
plus en plus petits afin de s’approcher au plus près du client et de
saisir l’évolution rapide des marchés. L’information obtenue risque
aussi d’être à cause d’un manque de capacité d’absorption de la part
des organisations, dû essentiellement à des rigidités internes.

Dans ce contexte, impliquer l’utilisateur dans les
procédés d’innovation est une façon de remédier à ce problème de
stickly information. On n’essaye plus d’extraire l’information du
contexte de l’utilisateur pour la placer dans le contexte de
l’organisation. On donne un rôle de producteur à l’utilisateur et il va
ainsi produire de l’information directement utilisable par l’entreprise
: idée, concept, solution ou contenu. Pour Von Hippel, “pour résoudre
un problème, on a besoin de réunir dans un même lieu, l’information et
les capacités de résolution du problème” (Von Hippel & Katz, 2002).

Les Lead user

Une des méthodes pour résoudre ce problème consiste
à intégrer les innovations des lead user dans le processus de
conception (Von Hippel, 1999). Les lead user sont des utilisateurs à
l’avant-garde d’un domaine, ayant un fort intérêt à innover pour
eux-mêmes, imaginant et développant des solutions qui répondent à des
attentes qui vont se généraliser par la suite à l’ensemble des
utilisateurs du domaine. Von Hippel base sa theorie Lead user sur un
utilisateur qui présenterait deux caractéristiques, à l’avant-garde
d’une tendance (the ahead of trend) et possédant un fort intérêt à
innover (the high expected benefit).

La composante de l’avant-gardisme d’une tendance
est basée sur l’hypothèse que les besoins des utilisateurs du marché
tendent à évoluer suivant une direction soutenue par une tendance
générale. Les premiers utilisateurs se situant sur cette tendance font
l’expérience de besoins qui n’ont pas encore été ressentis par la
majorité des utilisateurs. Si ces utilisateurs innovent pour combler
ces besoins, cette innovation peut devenir très attractive pour les
autres pour résoudre un futur problème du marché de masse.
La composante du fort intérêt à innover est basée sur l’économie de
l’innovation qui argumente qu’un haut niveau d’investissement dans une
activité dépend du bénéfice escompté. Les innovateurs bénéficient
directement de leur. Ils innovent parce que le marché ne répond pas à
des besoins qu’ils considèrent comme important. Ils peuvent alors
investir un temps important pour chercher des solutions. Ces deux
premières composantes ont été validées empiriquement à l’aide d’échelle
de mesure (Franke, von Hippel, & Schreier, 2006; Morrison, Roberts,
& Midgley, 2004; Morrison, Roberts, & Von Hippel, 2000). La
recherche confirme que les Lead Users ont tendance à plus innover que
les autres utilisateurs et à créer des innovations plus attractive
commercialement. La composante en avance sur le marché aurait même plus
d’impact que la composante du fort intérêt à innover (Franke et al.,
2006)
Cependant ces études ne permettent pas d’expliquer pourquoi ces
utilisateurs sont à l’avant-garde et pourquoi ils innovent. Des études
récentes sont venus enrichir la théorie Lead user en proposant d’autres
variables, à la fois liées à l’individu et au domaine dans laquelle se
situe l’innovation. Schreier et Prügl enrichissent la théorie en
testant quatre nouvelles composantes (Schreier & Prügl, 2008) :
connaissance du consommateur (consumer knowledge), expérience
d’utilisation (use experience), lieu du contrôle (locus of control),
innovativité innée (innovativeness). La connaissance du consommateur
est définie comme l’ensemble des connaissances permettant de traiter
les problèmes de consommation. Plus il obtient de la connaissance sur
le produit, plus il est facile pour l’utilisateur d’acquérir de
l’information, plus il comprend les éléments du produit qui sont en
relation avec la performance demandée.
L’expérience d’utilisation est générée par une utilisation directe du
produit. Un utilisateur qui a une grande expérience d’utilisation aura
plus de facilité pour percevoir et analyser les problèmes d’utilisation
existants et concevoir des solutions à ces problèmes.
Le lieu du contrôle est une variable de comportement liées à la façon
dont l’individu perçoit le résultat de ses propres actions. L’individu
croyant que leurs actions influencent les résultats ont un lieu de
contrôle interne. Cette caractéristique semble être une dimension clé
de la créativité nécessaire pour innover.
L’innovativité innée est définie comme une prédisposition générale de
l’individu vers l’innovation. Elle est souvent utilisée pour expliquer
l’adoption de nouveau produit. Un utilisateur qui a une personnalité
tournée vers l’innovation sera susceptible de traiter des usages mal
définis à la frontière du marché, de questionner le produit courant et
de percevoir les améliorations potentielles. Ces quatre nouvelles
composantes du Lead User ont été validé empiriquement à l’aide de trois
études dans le sport de haut niveau (Schreier et al., 2008).
Une autre étude réalisée par Bécheur et Gollety explore les composantes
Expertise et Motivation (Bécheur & Gollety, 2006). Elle se base sur
la théorie de la créativité d’Amabile qui affirme que la motivation
intrinsèque et la connaissance généraliste dans le domaine de la
création influencent la créativité d’un individu (Amabile, 1988).
D’après leur étude empirique sur une population d’étudiants au sujet
d’Internet, la composante Expertise, très proche de la composante
Connaissance d’utilisateur, est fortement liée au statut de Lead user
alors que la composante motivation l’est beaucoup moins. D’après les
auteurs l’insatisfaction d’un individu ne suffit pas expliquer sa
capacité à être précurseur et inventeur, encore faut-il qu’il ait les
capacités de réaliser l’innovation.

L’intégration des différents types d’utilisateurs dans le cycle de développement
Le Lead user est un individu qui possède donc 6 caractéristiques :
– à l’avant-garde d’une tendance
– ayant un fort intérêt à innover
– possédant une connaissance du domaine de l’innovation
– possédant une connaissance sur ses usages dans le domaine de l’innovation
– possédant une forte innovativité innée
– possédant un lieu de contrôle de l’action interne

Le Lead user a tendance à innover plus que les
autres, à être les premiers à adopter les innovations (Early adopter)
et à influencer les autres dans l’adoption des innovations (Leader
d’opinion). Ils peuvent donc être intégrés à plusieurs étapes dans le
cycle de développement d’une innovation. Ils existent aussi d’autres
types d’utilisateurs qui intègrent qu’une partie des caractéristiques
du Lead user. Nous considérons dans notre cycle l’apport des
utilisateurs de base (possédant une connaissance sur ses usages) et des
utilisateurs informés (possédant une connaissance sur ses usages et
dans le domaine).

Identification des Lead user

Le Lead user pouvant aussi être Early adopter et
Leader d’opinion, leur identification devient donc un enjeu important,
à la fois comme source d’innovation et comme source de diffusion de
l’innovation. Les entreprises doivent alors identifier ces utilisateurs
pour capter leurs idées et solutions et les intégrer dans leur
processus de conception et de diffusion de nouveaux produits. Trois
méthodes existent pour identifier les lead user, le dépistage
(screening method), la recherche pyramidale (pyramiding method) et
l’auto-selection (seft selection). Le dépistage consiste à identifier
les lead user en recherchant ses caractéristiques dans une population,
sur des sites spécialisés ou dans des communautés d’intérêts :
technique, sport, loisirs (Franke et al., 2003) La recherche pyramidale
consiste à se baser sur des experts du domaine d’activité de la société
ou d’un domaine connexe (chercheur, journaliste spécialisé ou
consultant) pour accéder à d’autres experts qui ont plus de
connaissances et ainsi remonter jusqu’aux lead user (Von Hippel 1999).
L’auto-sélection consiste à fournir des tests d’auto-sélection aux lead
user pour qu’ils puissent s’identifier eux-mêmes auprès des fabricants.
Les lead user sont ensuite invités à participer à des workshop
réunissant lead user et concepteur de la société. Néanmoins identifier
et intégrer les Lead user est une démarche lourde et coûteuse pour les
entreprises, Olson et Bakke montrent que les entreprises qui adoptent
ces méthodes innovent plus mais que malgré tout elles ont tendance à
abandonnert cette méthode au cours du temps (Olson & Bakke, 2001)
Les boîtes à outils d’utilisateur pour l’innovation (User Toolkit for
Innovation) sont une autre façon d’impliquer les utilisateurs dans la
conception de produits. Une telle Boite à Outils est constituée d’un
ensemble d’outils de conception facile à utiliser qui permet aux
utilisateurs de développer des innovations pour eux-mêmes (Von Hippel
and Katz 2002). Elle se présente sous la forme d’une interface de
conception favorisant l’apprentissage par essai erreur et la
visualisation directe du résultat. Elles permettent de réunir dans une
même application la formulation et la résolution du problème. Plus la
boîte à outils est complexe, plus elle s’adressera à des lead user.
Plus besoin de les identifier et de les faire venir dans l ‘entreprise
pour les intégrer au process d’innovation. Un lien concrétisé par une
boîte à outils est directement créé entre les utilisateurs les plus
créatifs et innovant et l’entreprise.

SOURCE : http://www.theinnovation.eu/article/42

Autre ressource : Téléchargement Becheur_gollety

Publié sur : levidepoches

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