Vers une économie des communautés résilientes, par Rémi Sussan

Counautés resilientes chrisopher baker
Crédits : Christopher Baker

Dans un scénario écrit du point de vue d’un citoyen des années 2010
Jamais Cascio explore le concept “d’économie résiliente”. Les
philosophies économiques issues du XIXe siècle, comme le capitalisme et
le socialisme, explique-t-il, s’opposaient sans doute sur les
fondamentaux, mais elles ne réfléchissaient pas en termes de capacité à
résoudre les crises. Au contraire, elles les provoquaient. Elles ne se
préoccupaient pas de résilience
: ce concept désigne la capacité à résister aux chocs, non par une
solidité à toute épreuve, mais par la faculté à reprendre forme
aisément après une perturbation importante. Un concept popularisé en
France par le psychiatre Boris Cyrulnik qui a consacré plusieurs
ouvrages à ceux qui parviennent à surmonter les chocs de la vie, mais
qui peut s’appliquer à de nombreux autres domaines comme l’informatique
où il évoque la résistance aux pannes. Comme le rappelle John Robb, le robot “liquide” de Terminator 2 est un exemple parfait de système “résilient” car en mesure de s’autorecréer constamment à partir de ses composants.

L’économie résiliente qu’imagine Cascio conserverait les valeurs des
idéologies qui l’ont précédée : l’insistance du socialisme sur
l’égalité et celle du capitalisme sur la production de richesse. Mais
ce nouveau système ne sera pas non plus une énième resucée de la
social-démocratie et de l’économie mixte. Il s’agirait d’une société
nouvelle basée sur la “diversité décentralisée comme moyen de gérer l’inattendu”.

Une telle ” polyculture ” comme il la nomme aussi, consiste à “élaborer
des règles telles qu’aucune institution ou approche utilisée pour
résoudre un problème ou combler un besoin ne devienne exagérément
dominante”
. “Cela implique un coût en matière d’efficacité, note-t-il, “mais l’efficacité ne marche que lorsqu’il n’y a pas de bosses sur la route”. Une tactique qui devrait être d’autant plus efficace lorsqu’on entre dans des temps d’incertitude, comme aujourd’hui.

Cascio nomme ce type de système social, une “économie Lego” : “De
nombreuses petites pièces capables de se combiner et se recombiner.
Tout ne s’insère pas parfaitement, mais les combinaisons les plus
surprenantes donnent les résultats les plus créatifs”.

Par bien des côtés, la vision de Cascio est séduisante, mais reste
un peu abstraite. John Robb, partant des idées de Cascio et les reliant
à ses propres recherches, leur donne un contenu théorique plus complet
et permet d’entrevoir certaines applications pratiques.

Pour Robb, une telle économie ne peut être mise en place que grâce à la “propagation virale de communautés résilientes”.

Selon lui
notre civilisation est basée sur un ensemble de réseaux profondément
intriqués. Cette imbrication, explique-t-il, nous permet d’avoir un
système social relativement robuste et capable de résister à un bon
nombre de chocs aléatoires. Mais les perturbations les plus graves
peuvent avoir des conséquences dramatiques. Les systèmes les plus
efficaces sont en effet les plus prompts à être cassés. Stabilité et
performances sont deux objectifs opposés. Un système dynamiquement
stable est doté de composants capables de revenir spontanément à la
normale après une pression. Un autre, plus efficace, ne possède pas ces
gardes fous. Ainsi, un avion classique peut voler sans difficulté. Mais
lorsqu’on construit des aéroplanes hyperrapides, le défaut de stabilité
doit être compensé par un contrôle informatique particulièrement
sophistiqué. “Sans une telle compensation, un F-16 adopterait un comportement catastrophique en 3 secondes”, explique Robb.

Notre système actuel est en fait très efficace. Trop. Au cours du
processus augmentant cette efficacité, la plupart des contrôles qui le
maintiennent dans un état de stabilité relative ont sauté. D’où la
multiplication de ce que Nassim Nicholas Taleb appelle des Cygnes noirs
: des évènements hautement improbables (du moins le croit-on !) qui
remettent en cause l’ordre des choses tel que nous l’imaginons.

Lorsqu’un système hautement performant entre en crise, les
conséquences peuvent se manifester soit sous la forme de turbulences
(ce qui s’est passé lors de la crise de septembre 2008) soit entrainer
une déconnexion et une séparation en une multitude de “clusters”,
portions du réseau qui se mettent alors à fonctionner indépendamment :
c’est ce qui se passe lors des pannes générales d’électricité. Ainsi,
toujours selon Robb, une pandémie globale présenterait les deux
caractéristiques. Un haut niveau de turbulence s’associant, via le
processus de quarantaine, à la création d’unités indépendantes et
isolées.

Une telle catastrophe pourrait être limitée si le réseau global était structuré selon une invariance d’échelle,
s’il obéissait à une géométrie fractale. Autrement dit, s’il était
composé de multiples sous-ensembles susceptibles de fonctionner de
manière autonome et de produire, au niveau local, les mêmes biens et
services qu’un niveau global. Il faut donc concevoir une multiplication
d’économies locales capables, en cas de turbulence ou de clustering, de
fonctionner de manière autonome pendant la perturbation du système
global de communications.

A quoi ressembleraient donc ces communautés résilientes ? Un bon exemple en serait les Transition towns, des “villes de transition”, sur lesquelles Robb a travaillé en compagnie de Rob Hoskins, à l’origine de ce projet.

Les adeptes de ce mouvement sont convaincus que les prochaines
crises de l’énergie et du climat vont nous entrainer dans une
“décroissance”. Mais contrairement aux survivalistes qui se réfugient
dans les montagnes, ils cherchent à rendre autosuffisantes des villes
déjà existantes, avec l’aide des autres acteurs urbains (associations,
services municipaux…). Ils créent donc des groupes qui s’occupent de
procurer de la nourriture, d’autres qui s’intéressent au recyclage des
déchets, à l’éducation, etc. Certaines villes comme Totnes, la ville où
habite Rob Hoskins, ont même développé une monnaie locale, parallèle.
Ce qui intéresse Robb dans ce mouvement, c’est moins sa conviction de
base quant à la pénurie d’énergie à venir que sa “méthodologie
précisément conçue pour catalyser la participation de la communauté via
un processus organisationnel open source très anarchique”
. Le mouvement des Transition towns s’inspire en effet de la méthodologie “Open Space“, comme l’affirme leur manifeste (.pdf) : “Un
grand groupe de personnes qui se réunissent pour explorer un sujet
particulier, sans ordre du jour, sans agenda, sans coordinateur désigné
et sans preneur de notes… Pourtant, nous avons fait tourner séparément
des
Open Space pour l’alimentation, l’énergie, l’habitat, l’économie et la psychologie du changement.” Bref, on n’est pas loin du Barcamp ! Peut-être plus encore de l’innovation sociale et de l’économie solidaire.

A quoi ressemblera la vie quotidienne au sein de cette économie
résiliente ? Du point de vue d’un citoyen du futur, Cascio nous
explique que “nous continuons à acheter des biens, mais les
marques sont plus nombreuses et il y a moins de “gros acteurs” – et
ceux qui émergent n’ont pas tendance à durer très longtemps. Les gens
vont toujours au travail, mais nous sommes de plus en plus nombreux à
nous investir dans la micro-production de biens et de contenus
intellectuels. Il y a toujours des gens qui perdent leur travail et qui
ont de gros problèmes financiers… Mais il y a moins de risque de
catastrophe économique…”.
Bref, on est dans l’ordre du parfaitement réalisable, très loin de l’utopie. Un article du New York Times
sur les Transition towns affirme que pour ses adeptes, c’est
l’enthousiasme qui constitue la principale ressource. Enthousiasme ? En
ces temps aux horizons assombris, c’est une ressource qui devient
suffisamment rare pour qu’on s’y intéresse un peu plus, non ?

Auteur : Rémi Sussan
Source : InternetActu
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : le vide poches

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