La conversation est un château de sable : quand la communication se définit par la construction mentale d’un territoire commun, par Nicolas Revoy










Une
plage d’été. Au bord de l’eau, deux vacanciers bâtissent un énorme
château de sable. Séduit par la beauté de l’édifice en construction, un
autre vacancier se joint spontanément à eux, puis un autre…
Au
final, c’est bien une dizaine de personnes qui s’affairent au chantier.
Lequel ne semble jamais pouvoir être achevé, car chacun a l’idée d’un
nouveau pont, une nouvelle tour… Mais en fin de journée pourtant, le
château est bien terminé. Ses auteurs l’admirent fièrement, avant que
les vagues viennent le dissoudre lentement…

Abandonnons cette scénette estivale, et osons
maintenant cette analogie : la conversation serait semblable à un
château de sable : un objet en soi, coproduit volontairement par
l’ensemble des conversants, mais n’appartenant à personne en
particulier.

Une analogie qui s’inscrit en fait dans les travaux menés en sciences cognitives sur le concept de la conversation : l’une des approches
de cette discipline pose en effet que la conversation entre plusieurs
personnes est la construction mentale d’un terrain commun. La
construction d’un château de sable, par exemple. Lequel a de plus
l’avantage d’être éphémère, exactement comme une conversation, ce qui
n’empêche pas que l’on s’en souvienne longtemps après, là encore comme
une conversation particulièrement agréable ou animée.

L’intérêt de cette analogie ? Au-delà de la sensation
bienfaisante qu’elle est susceptible de procurer en cette période
pré-estivale, c’est qu’elle nous semble aussi pouvoir nourrir la
question des règles à suivre par les marques pour éviter une exclusion
précoce de la conversation, que nous évoquions l’année dernière dans ce billet.

Jouons donc un peu, et poussons l’analogie jusqu’au
bout, en regardant quelles seraient, pour un vacancier désireux de se
joindre à un groupe de bâtisseurs de château de sable, les règles à
suivre pour ne pas s’en faire exclure à peine entré. Puis vérifions si
elles sont également opérantes lorsqu’on les applique à l’entrée des
marques dans la conversation :

  • Règle 1 : Utilité.
    Le bâtisseur doit forcément apporter une contribution dotée d’une
    véritable valeur ajoutée. S’il n’est pas capable d’aider efficacement à
    la construction du château, alors il deviendra vite un poids pour les
    autres. C’est également valable pour l’entrée des marques dans la
    conversation : une marque doit apporter des contributions dotées d’une
    véritable valeur ajoutée, permettant l’enrichissement de cet objet
    commun qu’est la conversation, sous peine d’être exclu (par exemple,
    Leclerc étaye ses positions sur le pouvoir d’achat en fournissant un comparateur de prix en ligne original, soit une contribution à la conversation dotée d’une réelle valeur ajoutée).
  • Règle 2 : Plaisir.
    Si un bâtisseur n’a visiblement aucun plaisir à participer à la
    construction du château, alors sa présence deviendra vite pesante, et
    on lui fera comprendre qu’il pourrait plutôt aller se baigner. Et du
    côté des marques entrant en conversation ? On peut effectivement
    imaginer que, de la même manière, l’absence de perception par le
    consommateur d’un plaisir éprouvé par la marque à converser avec lui
    est le gage d’une conversation destinée à être écourtée. La stratégie
    de communication de Stride autour des vidéos de Matt le danseur
    en est un très bon exemple : dans les innombrables commentaires des
    internautes sur ce sujet, il ressort généralement que ces derniers
    perçoivent Stride très positivement, saluant le plaisir manifeste que
    la marque a eu à leur communiquer un contenu qui les dépayse et les
    surprend. Et côté ROI ? Et bien les chiffres ont suivi…
  • Règle 3 : Sincérité.
    Si un bâtisseur dissimule aux autres les véritables motifs qui le
    poussent à participer à la construction du château (profiter du pack de
    bière d’un autre bâtisseur, se rapprocher stratégiquement d’une jolie
    vacancière, etc), alors les autres se sentiront quelque peu floués une
    fois ses véritables motifs dévoilés, et risquent de développer envers
    lui une certaine animosité. Et c’est pareil pour la marque
    conversante : si elle s’est greffée à une conversation pour un motif
    tout autre à celui qu’elle affiche, alors elle s’expose à l’exclusion
    dès lors que les autres participants auront mis à jour ses véritables
    intentions. De façon instinctive, tout être humain écourte généralement
    très vite une conversation dès lors qu’il sent que son ou ses
    interlocuteurs lui cachent ostensiblement des choses ; les gens n’aiment pas converser avec les menteurs.
    Et c’est un aspect central pour les marques désireuses d’entrer en
    conversation : en effet, comment désamorcer chez le consommateur la
    pensée de type « cette marque me ment : elle fait mine de vouloir une
    conversation avec moi, mais en fait c’est tout autre chose qui
    l’intéresse » ? Si l’on suit jusqu’au bout cette règle de la sincérité,
    alors la marque devrait quoi qu’il arrive être sincère sur ses
    objectifs, afin d’éviter d’être tagguée « menteuse ». Comment ? Elle
    pourrait par exemple insister particulièrement sur la plus value
    qu’elle espère retirer de la conversation avec ses consommateurs, en
    leur expliquant que cela lui permettra en retour de leur proposer une
    offre encore plus satisfaisante. Un cas réussi de “sincérité” :
    l’affaire désormais célèbre du faux blog Vichy.
    On se souvient que la découverte de la présence de la marque derrière
    ce blog faussement indépendant avait échaudé les internautes. Comment a
    réagi Vichy face à ce “bad buzz” ? En menant une opération 100% sincérité :
    le responsable marketing à l’origine du projet s’est excusé en ligne, a
    reconnu l’erreur, et a expliqué les raisons qui avaient poussé la
    marque à lancer le blog de cette manière. Résultat le lien avec les
    consommateurs s’est restauré, ces derniers appréciant la franchise de
    la marque.
  • Règle 4 : Humilité.
    Un bâtisseur de château de sable qui se targue en permanence d’être
    plus efficace et talentueux que ses collègues, voire décrète qu’il en
    est le seul véritable auteur, se retrouvera probablement à finir son
    château tout seul. De la même manière, il s’agit pour une marque de
    considérer que les autres conversants peuvent apporter à la
    conversation au moins autant que ce qu’elle pense pouvoir lui apporter.
    Dans une conversation, la seule star c’est la conversation.

Que pensez-vous de ces quelques premières règles de
« maintien en conversation » issues de notre petite métaphore
estivale ? En avez-vous d’autres à proposer ?

Auteur : Nicolas Revoy
Source : Think Out
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : le vide poches / échange

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