"Ils forment le coeur de la société française, ceux sans qui rien
n’est possible, ceux sur qui la nation compte pour produire et
consommer, ceux dont le vote fait la différence. Ceux aussi qui
supportent, dans tous les sens du terme, notre modèle social.
"Ce sont les classes moyennes.
"Ces
Français qui sont scrutés à longueur de sondages parce que leurs avis
sont déterminants dans la formation de l’opinion mais que finalement on
connaît peu. Que ressentent-ils vraiment ? Comment vivent-ils avec un
pouvoir d’achat en berne ? Se sentent-ils dans une société bloquée ou
craignent-ils les réformes que l’on nous annonce ? Est-ce qu’ils
paniquent devant la crise qui arrive ou gardent-ils pour l’instant la
tête froide ?"
Dans Les nerfs solides – Paroles à vif de la France moyenne, qu'ils viennent de publier aux Nouveaux débats publics, Xavier Charpentier et Véronique Langlois posent les bonnes questions, celles d'un débat que j'ai déjà initié ici : par delà le scandale des escroqueries banquières, c'est quoi, la réalité de la crise au quotidien ?
Avec Véronique, Xavier a créé Free Thinking ; il est aussi membre du Comité Scientifique de l'Adetem.
MarketingIsDead : Qu'est-ce qui vous a amenés, Véronique et toi, à vous pencher sur la situation des classes moyennes ?
Xavier Charpentier : Un peu le hasard, un peu l'intuition.
Un
peu le hasard : au départ, c'étaient bien sûr les sujets des
investigations qui nous intéressaient au premier chef – l'opinion des
Français sur les candidats aux élections présidentielles, sur les
réformes engagés, sur les marques dans un contexte de pouvoir d'achat
attaqué…
Et puis, au fil des investigations, nos communautés
elles-mêmes sont devenues, en un sens, notre sujet d'étude, tant elles
se sont avérées passionnantes à cerner, avec des valeurs communes très
fortes au-delà de leurs préoccupations quotidiennes.
Un peu
l'intuition aussi, que c'était là que "ça se passait" aujourd'hui, que
c'était autour des classes moyennes, élément pivot à la fois de la
société de consommation et de notre démocratie. Parce que sans elles,
rien n'est possible. Parce que ce sont elles qui font à la fois les
carrières politiques, en votant …
Et les marques, en les
élisant ! Bref, l'intuition très forte que ceux que qui nous sont
(trop) souvent présentés comme le "ventre mou" de la société avaient en
réalité des convictions "dures".
MarketingIsDead : "Je
me dois de tout restrictionner" lance une de vos blogueuses : pourtant,
elle ne fait partie des Français réellement pauvres, bien au contraire,
remarques-tu. Alors pauvreté psychologique, discours dans l'air du
temps … ou réalité sociale ?
Discours dans l'air du temps,
je ne pense pas – en tous cas pas au moment où nous avons mené ces
enquêtes, alors que beaucoup d'experts continuaient à s'interroger sur
la réalité de la baisse du pouvoir d'achat.
Réalité sociale,
oui, sans doute, pour des raisons qui commencent à apparaître au grand
jour – comme la stagnation des salaires et des revenus réels depuis 10
ans : un salaire qui augmente de, disons 3% par an pendant 8 ans, cela
peut sembler important … Sauf que si sur la même période,
c'est-à-dire en temps "humain" entre 24 et 32 ans par exemple, on s'est
marié et on a un eu 1 ou 2 enfants, alors en fait cette augmentation
légèrement supérieure à l'inflation ne représente pas grand chose.
Pauvreté
psychologique : oui, à l'évidence, et finalement c'est là le plus
important. Parce qu'au fond c'est la réalité perçue qui compte, pour le
marketeur mais plus généralement pour le reponsable, économiqaue ou
politique : si tout le monde a l'impression de devenir pauvre, vous
pouvez toujours essayer de prouver statistiquement que le revenu moyen
a augmenté de quelques pourcents, vous avez un problème .
Et
vous avez plus intérêt à dépenser votre énergie à diagnostiquer et à
résoudre les causes de ce problème, de cette distorsion entre "votre"
réalité et la leur, qu'à expliquer sa non-existence.
Peut-être
que les élites devraient un peu plus s'interroger sur la validité de
leurs instruments d'appréhension de la réalité, ou sur les outils
conceptuels qu'elles mettent en oeuvre pour la lire, et un peu moins
sur la réalité que leurs contemporains leurs disent vivre tous les
jours…
MarketingIsDead : Traditionnellement,
ces classes moyennes constituent un inestimable réservoir pour la
consommation : ce sont eux qui achètent massivement les produits
marqués, n'hésitant pas à payer la qualité à son juste prix. C'est même
la cible marketing par excellence : tout un marketing à réinventer, un
marketing de la "pauvreté" ou du moins des "restrictions" ?
Xavier Charpentier : Tout un marketing à réinventer, oui bien sûr – et c'est naturel, on ne peut pas faire du marketing en 2009 comme en 1980 !
Un
marketing de la "pauvreté" ou de "restrictions", non : les classes
moyennes, comme tu le soulignes, continuent à désirer les marques.
Elles ne souhaitent pas du tout sortir de la société de consommation,
elles ont bien plutôt l'impression d'en être expulsés de force !
En
revanche, oui elles attendent aujourd'hui autre chose des marques et
des enseignes de la grande distribution. Un marketing de l'utilité.
Dans lequel la marque doit justifier de son existence, de son rôle à la
fois quotidien, imaginaire ET social en permanence.
MarketingIsDead : Vous
avez amenés quelques dizaines de Français à dialoguer sur la toile : or
de telles conversations ne sont neutres, et l'on constate souvent
qu'elles aboutissent à des consensus. La volonté d'agir, de construire
quelque-chose de nouveau que l'on voit émerger, peut-elle résister à
l'épreuve des faits, une fois ces individus retournés dans leur train
train quotidien ?
Xavier Charpentier : C'est une
vraie question. A ce jour, il n'y a pas de réponse, encore moins, ai-je
envie de dire, aujourd'hui que nous avons menés d'autres blogs sur la
crise de la rentrée, les mouvements sociaux et les propositions du
Gouvernement.
Tout est plus que jamais ouvert. Notre analyse,
c'est que ces Français qui ont parlé avec nous et entre eux ont
vraiment envie que les choses changent, que nous inventions ensemble
quelque chose de nouveau et de meilleur, de se rassembler, au-delà du
consensus, sur quelques principes forts et en fait souvent politically
incorrect (arrêter l'assistanat, par exemple).
Mais qu'en même
temps, ils ne sont plus disposés à accepter l'idée de se sacrifier pour
des lendemains meilleurs. Les sacrifices, ils estiment les avoir déjà
fait. Donc, la balle n'est plus dans leur camp.
Source : Marketingisdead
Publié par : Nicolas Marronnier
Publié sur : le vide poches / expression

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