
«Les
gens ont peur aujourd’hui, mais moi et mes pairs nous ne craignons pas
l’effondrement économique. Nous avons appris, avec l’aide du Whole Earth Catalog, à prendre soin de nous», déclarait récemment l’acteur Peter Coyote au magazine écolo Plenty.
Alors que le mouvement Do it yourself opère un retour en force
outre-Atlantique – réaction contre les excès de la société de
consommation et ses effets dévastateurs sur la planète mais aussi
stratégie de survie en période de récession -, flash-back sur une
publication fulgurante dont les idées sont, quarante ans plus tard,
plus que jamais d’actualité : la construction durable, le commerce
équitable, les énergies alternatives mais aussi la cyberculture ayant
toutes été façonnées par ses pages (1).
Contre-culture. Le Whole Earth Catalog (WEC)
est lancé en 1968 par Stewart Brand. Ce diplômé de biologie à Stanford
en Californie, ex-para et membre des Merry Pranksters (bergerie hippie
expérimentale autour de l’écrivain Ken Kesey, carburant au LSD) avait
lancé deux ans plut tôt une campagne nationale pour convaincre la Nasa
de diffuser pour la première fois une photo de la Terre prise de
l’espace. Cette fameuse photo fera la couverture de son premier
catalogue, une soixantaine de feuilles miméographiées (imprimées
maison) qui vont devenir un document décisif de la contre-culture
américaine.
A l’époque, ses amis chevelus de la Bay Area fuient la ville en
masse pour vivre en communauté. Pour les aider dans leur retour à la
terre, Stewart se lance dans la conception d’un catalogue pratique
regorgeant d’informations pour tout faire soi-même (matériel, conseils
pour acheter pas cher, livres, plans de maisons et de machines…) En
quatre ans, il va s’étoffer et compter jusqu’à 448 pages en 1972, année
où «ce catalogue pour hippie de la côte ouest» obtient le National Book Award.
«Pendant les quinze ans où j’ai vécu dans une cabane sans électricité, explique Peter Coyote, le WEC était
ma ressource pour une technologie low tech, bon marché et peu
polluante. Sans les bons outils, les bonnes compétences et les bons
livres, le mouvement Do it yourself aurait été voué à l’échec.»
Le Whole Earth Catalog ne ressemblait à rien de connu en
matière d’édition. Réalisé avec une machine à écrire électrique, des
ciseaux et un appareil photo Polaroid, ce n’était pas vraiment un
livre, ni un magazine, ni un catalogue de vente par correspondance mais
une «cacophonie d’artefacts, de voix et de design visuel», décrit Fred Turner dans From Counterculture to Cyberculture (2).
«Des kits pour tisser à domicile côtoient des reportages sur la
science du plastique. Les flûtes en bambou partagent leur espace avec
des livres sur la musique générée par ordinateur.» La
construction de dômes géodésiques voisine avec la chronique d’une
expérience dans un kibboutz. Le marteau et les clous avec de
l’électronique sophistiquée.
Le catalogue n’était pas seulement un réservoir d’outils mais aussi
d’idées visionnaires. Il jette un pont entre la science de pointe et la
contre-culture, exposant les théories de Buckminster Fuller ou de
Norbert Wiener (cybernétique), publiant un torrent d’articles sur la
préservation de la planète, l’agriculture bio, l’autosuffisance,
l’auto-éducation et la coopération.
«En migrant de Stanford au monde arty de Manhattan puis à la bohème psychédélique de San Francisco, écrit Turner, Brand est devenu le lien entre différentes communautés contre-culturelles, académiques et technologiques. En fondant le WEC en 1968,
il a rassemblé ces différentes communautés dans un même espace textuel.
Cet espace devint un forum en réseau, un endroit interdisciplinaire où
ces communautés échangeaient des idées.»
Les lecteurs pouvaient écrire, recommander de nouveaux livres ou décrire leur expérience. «Pour ce mouvement, l’information était une matière première précieuse, commente Kevin Kelly, ancien compagnon de route qui a cofondé le magazine Wired. Dans les années 60, il n’y avait pas d’Internet, pas 500 chaînes du câble. Le WEC était
un génial exemple de contenu généré par les utilisateurs sans pub,
avant Internet. Brand a inventé la blogosphère bien avant que cela
existe.» Selon Steve Jobs, fondateur d’Apple, le WEC était «une
sorte de Google en livre de poche trente-cinq ans avant, c’était
idéaliste et débordant d’outils précis et de concepts géniaux.»
Libérateur. Le WEC a également irrigué toute la culture d’«innovation de garage»
de la Silicon Valley. Sous-titré «Access to tools», il a sensibilisé
son lectorat au potentiel libérateur des technologies et de
l’information. Dès le premier numéro, il présente un calculateur de
bureau Hewlett Packard, à 5 000 euros, l’objet le plus cher du
catalogue.
«Dans les années 60, les ordinateurs c’était big brother, ils
étaient aux mains de l’ennemi, les mégasociétés et le gouvernement,
mais Brand a entrevu ce que ces outils rendaient possibles. Il comprit
que si ces ordinateurs devenaient personnels, ça pouvait faire basculer
le monde en un endroit où les gens sont Dieu», écrit Kevin Kelly, faisant allusion à la déclaration d’intention désormais légendaire de Brand en ouverture du catalogue : «Nous sommes l’équivalent des Dieux, et ferions bien d’être à la hauteur.»
Le dernier exemplaire, en 1971, fut vendu à plus d’un million
d’exemplaires. A la fin des années 70, les hippies finirent par rentrer
dans le rang mais les idées et les réseaux construits autour du
catalogue perdurèrent. Les communautés rurales devinrent des «communautés virtuelles»
telle le Whole Earth ’Lectronic Link, ou Well (3), en 1985,
excroissance en ligne du catalogue et forum influent toujours en
activité. Et le «cow-boy nomade» fit place aux entrepreneurs de la Silicon Valley.

(2) From Counterculture to Cyberculture, Fred Turner, University of Chicago Press, 2006.
SOURCE : LIBERATION
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