GEN Y. Les jeunes : un rapport au travail singulier ? Une tentative pour déconstruire le mythe de l’opposition entre les âges par la sociologue BEATRICE DELAY.

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L’ambition de cet article est d’analyser la signification et la place accordées au travail par des
actifs en emploi positionnés aux deux extrémités de la pyramide des âges. La question de la
relation au travail est appréhendée à travers deux axes principaux : l’importance relative
attribuée au travail par comparaison avec les autres sphères de l’existence et le type
d’attachement noué avec les différentes dimensions du travail. Notre analyse s’appuie sur des
études quantitatives (en particulier Ipsos 2004 et ISSP 2005) et qualitatives (une trentaine
d’entretiens semi-directifs). Cette approche comparative, mobilisant des données recueillies
auprès de travailleurs de moins de 30 ans et de plus de 50 ans, permet d’identifier les points
de convergence et les écarts de perception entre les jeunes et leurs aînés, et, par là même, de
progresser dans la compréhension du pouvoir discriminant de l’âge dans le rapport subjectif
au travail. Les résultats indiquent notamment la nécessité de prendre ses distances avec le
mythe d’une opposition identitaire et culturelle radicale ainsi qu’avec celui d’un
insurmontable fossé générationnel entre ces deux groupes d’âge. En effet, les divergences
observées renvoient moins à un affrontement entre deux conceptions antinomiques du travail
qu’à une radicalisation chez les jeunes d’aspirations également présentes chez les âgés, mais
de façon moins prononcée. De plus, bien que l’âge présente une certaine pertinence pour
rendre compte d’écarts dans la façon d’appréhender le travail, il ne doit pas occulter d’autres
critères significatifs de différenciation telle que la position occupée dans la hiérarchie
socioprofessionnelle.

 

La plupart des travaux scientifiques qui s’intéressent au thème « jeunes et travail », à
quelques exceptions notables3, se focalisent sur la question de l’emploi et des conditions
d’insertion professionnelle, en reléguant la question du rapport au travail au rang de
questionnement secondaire. Pourtant, cette dernière renvoie à un problème social auquel se
trouvent aujourd’hui confrontées les entreprises. En effet, la transformation de la pyramide
des âges et le départ prochain à la retraite d’un nombre conséquent de salariés issus du
« baby boom » obligent les dirigeants à assurer un renouvellement de leurs salariés et à se
pencher sur les problématiques liées à la transmission des savoirs, aux modalités de
coopération et d’interaction entre les différents groupes d’âge et à l’intégration des nouveaux
arrivants. Or elles ne parviennent pas toujours à dessiner un modèle de comportement de ces
nouvelles générations, à comprendre et à satisfaire leurs attentes pour les retenir au moins un
temps et faire en sorte qu’elles participent activement à la réalisation des objectifs de
l’organisation. Bien souvent les discours médiatiques et managériaux tendent même à
véhiculer une représentation globalisante et stéréotypée des jeunes actifs, qui se
distingueraient des générations précédentes par leur investissement professionnel aléatoire et
circonstanciel, leur individualisme croissant, ou encore leur infidélité chronique. Il est donc
intéressant de tenter d’apprécier la réelle spécificité du rapport au travail des jeunes, et dans
cet objectif, d’expliciter la comparaison implicite que comporte toute étude sur la jeunesse en
mettant en regard leurs pratiques et leurs représentations et celles observées chez d’autres
classes d’âge. Dans cette perspective, nous nous emploierons tout au long de cet article à
confronter le rapport au travail d’individus positionnés aux deux extrémités du cycle de vie
professionnelle.

 

 

Cette approche comparative fondée sur la confrontation des données recueillies auprès
d’actifs de moins de 30 ans et de plus de 50 ans nous permettra de saisir les convergences
mais aussi les écarts de perception entre les jeunes et les seniors, et par là même, de
progresser dans la compréhension du pouvoir discriminant de la variable âge concernant le
rapport subjectif au travail. Celui-ci sera examiné à travers trois axes thématiques : la place
relative attribuée au travail comparativement à d’autres sphères d’activité ; les attentes
exprimées à l’égard du travail ; et enfin la nature du lien qui relie les salariés à l’entreprise.
D’un point de vue empirique, nous combinerons des données quantitatives tirées principa-
lement de deux enquêtes (ISSP, 20054 ; Ipsos, 20035) avec des apports plus qualitatifs issus
d’une trentaine d’entretiens réalisés auprès de salariés en début de vie professionnelle, d’une
part, et de salariés en seconde partie de carrière, d’autre part.

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