Maptivism : l’activisme cartographique

Connaissez-vous des pays sans cartes ? Ou des cartes fausses, instrumentalisées à des fins de propagande ? Les cartes peuvent être un moyen de libération, de connaissance… ou d’aliénation (de liberté surveillée). Que ce soit au Kenya ou à Francfort, des projets de cartographie amateurs se multiplient sur Internet. Revue de cartes “non officielles” avec le blog allemand Kooptech.

Dans les pays du sud, des cartographes amateurs dessinent l’infrastructure d’endroits pour lesquels il n’existe encore aucune carte.

Kibera est situé au Kenya et plus exactement à Nairobi.

Ce bidonville est l’un des plus grands d’Afrique. Seulement voilà, Kibera n’est qu’une surface vide sur la plupart des cartes de la capitale kényane, alors que près d’un demi-million de personnes y vivent sur tout juste 2,5 kilomètres carrés. Beaucoup d’entre eux n’ont accès ni à l’eau potable ni aux installations sanitaires. Le manque de participation de la population locale aux projets d’infrastructure ainsi qu’une méconnaissance de la situation rendent très difficile la gestion de ce quartier. Les quelques cartes imprimées disponibles ne sont que très approximatives.

Le projet Map Kibera s’est donné pour objectif d’améliorer la situation. Le but est la mise à disposition d’une carte gratuite, librement consultable, la plus exhaustive possible et comprenant toutes les caractéristiques du quartier. Ce projet n’est pas mis en œuvre par des cartographes professionnels mais par la population elle-même. À l’aide de navigateurs GPS, nos cartographes relèvent les lieux relatifs aux soins médicaux, les décharges et les endroits où il est encore possible d’obtenir de l’eau potable. Ce sont de jeunes femmes et de jeunes hommes venant de Kibera ou plus exactement de l’un des 13 “villages” qui constituent le bidonville.

Après de longs mois, leur travail a permis d’obtenir une carte très détaillée. Elle donne un aperçu de la vie à Kibera, de ses problèmes mais aussi quelques solutions potentielles. Regynnah Awino, l’un de ces cartographes amateurs, raconte comment la carte a été perçue par la communauté locale : “Lors d’une réunion, nous avons discuté avec une association composée de jeunes femmes, Binti Pamoja, qui aide les femmes victimes de violence masculine. Nous avons parlé de notre projet mais également des endroits qui leur paraissent dangereux ou au contraire sûrs pour elles. De cette manière, nous avons non seulement pu collecter des informations, mais avons également pu voir que notre projet était bien accueilli par la communauté”.

Des projets similaires à celui de Kibera existent également pour les Favelas au Brésil. En Inde, de telles cartes numériques ont contribué à faire valoir des droits de propriété ou encore de montrer les inégalités du découpage électoral. La créativité est sans borne. Jeffrey Warren de Grassrootsmapping.org a développé un kit pour réaliser des prises de vues en altitude gratuites. À l’aide d’une petite montgolfière, un simple appareil photo numérique a été envoyé en haute altitude et a récemment montré les conséquences de la marée noire sur les plages du Golfe du Mexique. L’appareil photo a effectué des prises de vues à intervalle rapproché. En assemblant ces images, on obtient une vue d’ensemble, un peu comme pour les images satellites, mais sans les coûts de licence très élevés propres aux applications commerciales.

Jeferonix/Jeff Warren – Licence Creative Commons BY-NC-SA

 

Une grande partie des informations ainsi récoltées est utilisée par le projet OpenStreetMap.org, qui s’est fixé comme objectif la réalisation d’une carte libre du monde entier. Dans des pays comme l’Allemagne, cette carte créée par des bénévoles est d’ores et déjà plus détaillée que Google Maps et propose, entre autre, des cartes de randonnées pédestres ou cyclistes, à télécharger gratuitement. Sur la carte sont indiqués de nombreux endroits qui font défaut sur les produits commerciaux, comme le montre le projet Wheelmap.org. Ce site rassemble depuis peu les endroits accessibles aux personnes à mobilité réduite en Allemagne. Sur Internet ou sur leur téléphone mobile, ceux-ci peuvent rechercher le café accessible le plus proche ou encore ajouter un endroit par eux-mêmes.

En Afrique méridionale, les initiateurs du projet “Stop-Stock-Outs“ (arrêtez les goulots d’étranglement !) comptent aussi sur l’aide des citoyens. Alors même que l’accès aux soins médicaux de base devrait être garanti à tout le monde, ce sont surtout les habitants des pays en voie de développement qui sont confrontés à une disponibilité insuffisante de certains médicaments vitaux, souvent en raison de la corruption. Les victimes de cette situation peuvent maintenant signaler le problème par SMS. Le message arrive sur une carte en ligne et montre les dysfonctionnements en faisant des comparaisons à échelle locale.

Une autre approche est de visualiser des informations préexistantes ou de grandes quantités de données sur une carte. De nombreuses informations contiennent des coordonnées géographiques et peuvent ainsi être représentées sur une carte. Le site Frankfurt-Gestalten.de (façonner Francfort) utilise ce principe. Divers sujets issus de la politique locale sont placés sur une carte de manière à être plus parlants. Chaque citoyen peut s’abonner aux informations issues de son voisinage et discuter en ligne des décisions prises par les élus locaux. Une bonne combinaison des informations et des cartes est toujours nécessaire.

Certains activistes empruntent des voies plus traditionnelles. Des employés du Cedar Grove Institute for Sustainable Communities ont interrogé les habitants de la petite ville de Zanesville City aux États-Unis, après de nombreuses plaintes concernant l’approvisionnement en eau potable, jugé insuffisant. Suite à cette enquête, une carte a été établie et a montré de manière indiscutable l’inégalité de l’approvisionnement en eau. Les quartiers où la population noire est la plus importante sont particulièrement désavantagés.

Mais les cartes ne sont pas transparentes par nature et l’histoire de la cartographie a montré de nombreux exemples où les cartes ont été instrumentalisées à des fins de propagande. En outre, la publication de certaines informations peut relever d’une atteinte à la vie privée. Les conséquences d’une publication doivent donc être discutées à l’avance avec les personnes concernées. Dans tous les cas, les données doivent le plus possible rester anonymes. Par contre, la transparence peut également se montrer contreproductive si elle permet d’exploiter commercialement le savoir des indiens, par exemple (matières premières). Mais c’est également à l’aide de cartes que ceux-ci peuvent faire valoir leur revendications territoriales.

Alors que la quantité de données disponible ne cesse de croître, les cartes sont un bon moyen d’en réduire la complexité.  Elles permettent également d’analyser un problème sous différents points du vue. Elles offrent un potentiel passionnant pour la transmission d’informations, surtout si les citoyens ont eux-mêmes la possibilité d’en ajouter, ou de créer leurs propres cartes — possibilité qui n’existait que pour les entreprises et d’autres organisations. Bien que cet activisme cartographique (Maptivism) n’en soit qu’à ses débuts, il montre une nouvelle forme d’engagement citoyen pour plus de transparence et de participation.


Cet article est d’abord paru dans la revue Kulturaustausch – Zeitschrift für internationale Perspektiven (“Échanges culturels, revue pour la mise en perspective internationale”), numéro du mois de juillet 2010.

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