CÉCILE MÉADEL1
« Du public à la cible : mesures des téléspectateurs et publicité »
In Simona de Iulio (2010), Savoirs et savoir –faire des professionnels de la publicité
Histoire et perspectives (1950-2009)
Strasbourg, Thémat’ic
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Quelles représentations les publicitaires se sont-ils données des
téléspectateurs ? Ou bien encore s’ils ne se les sont pas données, quelles
mesures du public ont-ils utilisé ? Et pour cela, je reviendrai sur les quinze
années qui suivent l’introduction de la publicité à la télévision. On se rappelle
que la publicité commerciale fut introduite à la télévision en octobre 1968, sur
une chaîne, publique et très largement dominante. La deuxième chaîne, créée en
1964, met une dizaine d’années à atteindre un volume d’écoute comparable à
celui de la première chaîne, quant à la troisième, créée en 1971, son audience
n’est significative qu’à partir de 1975. Lorsque se pose la question de
l’introduction de la publicité, on est donc dans un régime de monopole, avec
peu d’offres tant en écrans publicitaires qu’en programmes,
La question du public est posée de deux manières, contradictoire et pourtant
concomitantes. D’une part, et ce dès 1968, les mesures d’audience sont
incriminées et vont être vues par beaucoup comme le loup dans la bergerie :
certains observateurs considèrent que l’introduction de la publicité à la
télévision va soumettre la programmation à la logique de l’offre et que les
mesures du public vont introduire la logique du commerce dans le choix des
contenus dont la qualité ne pourra alors que s’avilir par la recherche du plus
grand nombre de téléspectateurs. D’autre part, on estime aussi qu’en situation
de monopole (même avec deux chaînes), la pénurie d’espaces disponibles pour
les publicitaires est si forte que les mesures du public ne jouent aucun rôle, les
annonceurs étant captifs, prisonniers de la fameuse « file d’attente » -qui ne se
réduira vraiment que dans les années 90 (accentué encore par le plafonnement
initial à sept minutes d’écran par jour).
Les positions ont quelque légitimité : le rôle des sondages dans la
programmation est bien allé croissant2 –« on a vilipendé dès les années 70
l’indice exterminateur »3, ancêtre de la « dictature de l’audimat »- et la Régie
française de Publicité a bien été –elle ou ses avatars- dans une situation
financière plus que confortable pendant une vingtaine d’années. Cependant le
travail accompli pour décompter les téléspectateurs et les décrire montre que ce
débat est posé dans des termes trop univoques qui ne rendent pas compte de
l’important travail de qualification engagé.
Ce chapitre étudie donc la construction progressive des instruments de
mesure du public mis en place essentiellement par l’ORTF et les sociétés issues
et qui ont été utilisés par les publicitaires pendant une petite vingtaine d’années
après l’introduction de la publicité. Il sera articulé en trois points. D’abord, on
verra que la relation entre mesures d’audience et publicité télévisée n’est pas
organique. Certes l’audimat (pour prendre le nom de l’application dominante)
s’est imposé. Le développement des mesures d’audience n’est pas loin s’en faut
l’affaire des seuls publicitaires ; les mesures du public ont donné lieu à un
processus complexe de construction méthodologique et organisationnelle,
entamée bien avant l’introduction de la publicité à la télévision. Ensuite, on
verra que l’outil utilisé à partir de 1965 par les publicitaires, en dépit de son
caractère formel, voire artificiel, départage assez bien les rôles entre télévision
publique et acteurs publicitaires. Enfin, on constatera que l’éclatement du
système est moins lié à une transformation des pratiques et des conceptions des
publicitaires qu’aux transformations des forces, des pratiques et des usages de
la télévision elle-même.

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