ETUDES 2.0. INNOVATION PARTICIPATIVE AVEC LES USAGERS EXPERTS. Discussion avec Eric von Hippel sur le changement de paradigme dans l’innovation ou comment l’utilisateur et les communautés d’utilisateurs ont pris le dessus sur les entreprises.

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http://www.internetactu.net/2010/09/23/eric-von-hippel-il-y-a-2-a-3-fois-plus-dinnovations-de-la-part-des-consommateurs-quil-ny-en-a-dans-lindustrie/Aux utilisateurs les idées, aux entreprises les produits

Eric von Hippel, l’auteur de Democratizing Innovation vient d’ouvrir la saison 2010/2011 des déjeuners du Berkman Center, une séance de discussion ouverte (retransmise en ligne) à laquelle participent le plus souvent les meilleurs esprits de cette institution. Ethan Zuckermann était présent et a synthétisé sur son excellent blog la présentation de von Hippel dont nous allons, sur ses pas, tenter de vous rendre compte.

 

Les utilisateurs, premiers sur l’innovation

Selon von Hippel, il y a 2 à 3 fois plus d’innovation de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie.

Cette affirmation contredit la façon dont nous pensons traditionnellement l’innovation que les fabricants sont sensés dominer et pourrait remettre en question le système de la propriété intellectuelle, qui tend à protéger les fabricants plutôt que les utilisateurs.
Lors de l’émergence d’un marché, il existe très peu d’utilisateurs, ce qui donne peu de raisons d’innover au fabricant, mais beaucoup aux utilisateurs. Quand le docteur John Heysham Gibbon, l’inventeur du coeur et du poumon artificiels approche des fabricants, ceux-ci ont plutôt tendance à se moquer de lui. Pendant 20 ans, Gibbon, un médecin plus qu’un inventeur, étudie et documente les processus nécessaires pour parvenir à produire un coeur et un poumon artificiels. Dans l’intervalle, le marché est arrivé à échéance et il a été possible de faire correspondre les découvertes de Gibbon à des procédés de fabrication rentables pour la fabrication de ces systèmes.

Dans de nombreux domaines, l’utilisateur est souvent l’innovateur, avance von Hippel. Dans le domaine des instruments scientifiques par exemple, 77% de l’innovation provient des utilisateurs finaux. Un rapport de force dont les fabricants eux-mêmes ne sont pas conscients. Pourquoi ? Parce que les innovations proposées par les utilisateurs ne ressemblent pas à des produits fabriqués. Le premier système entièrement automatisé de radio-immunologie ressemble à un méli-mélo de machines en réseaux bricolés pour répondre aux besoins d’un service de cardiologie. En tant que produit, il sera proposé sous forme d’un système intégré unique – et le fabricant vous dira sûrement qu’il a inventé le produit.

De la transformation de l’idée en produit

“L’innovation par les utilisateurs est peut-être une idée, mais pas un produit”

Von Hippel raconte ainsi l’histoire de Terry Fisher, directeur de la faculté du Berkman Center, passionné d’escalade qui ajouta une lanière à son piolet suite à une mauvaise expérience en montagne. Fisher n’a pas été crédité pour cette innovation que l’on trouve désormais sur chaque piolet. Autre exemple : l’irrigation à pivot central qui façonne les paysages agricoles de tout l’ouest des Etats-Unis. C’est un modèle d’irrigation qui est beaucoup plus efficace que la mise en place de canaux ou de tuyaux… La production agricole est centrée autour d’un puits et un tuyau roulant irrigue de manière circulaire le champ. Cette technique a été imaginée par des agriculteurs et est maintenant largement utilisée de par le monde. Pourtant, si vous demandez aux sociétés qui fabriquent ces systèmes qui les a inventés, elles vous diront que c’est leur création. Si vous leur montrez une photo de ces premiers systèmes, elles vous diront : “mais vous auriez dû voir leurs soudures !”

Carliss Baldwin et Eric von Hippel ont proposé l’année dernière un modèle qui aide à expliquer comment les espaces sont plus ou moins ouverts à l’innovation par l’utilisateur. Ce modèle tient compte du coût des communications et des coûts de conception qui influent sur l’innovation. Les individus ne peuvent pas se permettre d’innovation si le coût de conception est trop élevé : l’exemple de l’inventeur du coeur et du poumon artificiel est ainsi un exemple limite. A l’inverse, si le coût de communication est très faible, et si vous êtes en mesure de modulariser le problème auquel vous êtes confrontés, vous pouvez permettre aux utilisateurs d’élargir leur capacité d’innovation, comme ce fut le cas avec Linux. Si les coûts de communication ou de conception sont élevés, il est plus simple de faire ces projets dans le cadre d’une entreprise.

Mais “nous sommes à une époque passionnante, où il peut être plus efficace de faire des projets modulaires avec des groupes d’individus qu’avec des entreprises”, estime von Hippel.

2,9 millions d’innovateurs en Grande-Bretagne

measuringuserinnovationinuknestaCette année, von Hippel et ses collaborateurs ont publiés une étude pour le Nesta sur la population britannique en regardant justement ce phénomène de l’innovation par les utilisateurs. Ils ont demandé aux gens s’ils avaient créé ou modifié un produit durant les trois dernières années pour le rendre “plus adaptés à leurs besoins”. 1,4 % des sondés ont répondu avoir créé un produit. 4,2 % ont rapporté avoir modifié un produit et 0,6 % affirment avoir fait les deux. Ce qui fait dire à von Hippel que la population britannique (qui compte 58 millions habitants) possède 2,9 millions d’innovateurs, qui ont créé des produits simples, nouveaux, pour répondre à leurs besoins quotidiens.

Ces réalisations sont très variées rapporte l’étude : elles vont de la customisation de voiture (tunning) à l’adaptation de leurs instruments de sports ou de leurs outils de bricolage et jardinage à leurs pratiques (comme la création de tournevis à angle-droit). On y trouve également des articles complexes : des inventeurs de logiciels pour ranger leurs collections, des gens qui construisent leurs ordinateurs, des jouets ou des objets pour répondre à des besoins spécifiques comme comme cette boite d’alimentation automatique pour chien construit pour répondre au diabète de l’animal en lui fournissant une alimentation précise et régulière.

Ces innovations vont d’intervention du quotidien (installation de crochets pour abaisser les branches des arbres et en cueillir les fruits), jusqu’à de la conception avancée (bidouillage d’une machine à laver pour créer un cycle d’essorage)… L’investissement moyen dans ces innovations était de 120 euros et 2,8 jours (mais la médiane elle n’était que de 6 euros et 2 jours).

Alors que la plupart des innovateurs travaillent par eux-mêmes, l’étude souligne que certaines communautés d’intérêts travaillent différemment, en privilégiant la collaboration. Dans la communauté de ceux qui pratiquent le kayak en eau vive par exemple, les utilisateurs sont responsables de plus de 73 % de l’innovation du matériel et de 100 % de l’infrastructure (cartographie des zones de pratiques).

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>>>Article initialement publié sur Internet Actu.net sous le titreEric von Hippel : il y a 2 à 3 fois plus d’innovations de la part des consommateurs qu’il n’y en a dans l’industrie”

>>Crédits photo sur Flickr en licence Creative Commons : Xurxo Martínez opensourceway ; Rafal Kiermacz

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