http://www.cles.com/dossiers-thematiques/cultures-du-monde/faites-vous-partie-des-createurs/article/traite-de-savoir-s-engager-a-l
L’engagement est mouvement, action. Il ouvre la porte du faire. Il est émergence d’une voie parmi les possibles, les fantasmes. L’engagé court l’aventure pour s’attribuer des limites, pour se connaître. Il prend le risque d’ôter l’armure reichienne du “petit homme” pour acquérir une colonne vertébrale, un axe, bref, pour devenir un centre.

- Didier Girault
En astrologie, l’engagement est cheminement du Cancer au Capricorne. L’engagé sort de l’univers imaginaire du Cancer, bordé par la parole de la mère, la carapace. Il se met à nu ; il risque sa vie, opte pour la confrontation qui l’aide à créer des outils, à peaufiner des connaissances qui lui servent à grandir, à devenir, à “se montrer à la hauteur de” (sens du Capricorne). L’engagé fuit l’absolutisme des conventions, des us et coutumes, en les relativisant par comparaison à d’autres systèmes. À la porte de l’engagement, les zombies de l’histoire parlent et en parlent. Amputés trop tôt, qu’ils aient été surprotégés ou brimés, colporteurs de non-nouvelles, ils tâchent de justifier la vertu de l’immobilisme. Le non-engagement est une collection d’engagements différés.
Métamorphoser le contre en soi
L’engagement est une démarche alchimique, un mouvement “contre” qui se transmue en amour de soi et de l’autre. Il s’agit de se conférer une identité que l’on estime avoir le devoir de manifester. Ainsi de toute démarche créative : du pointage du défaut, elle conduit à l’insertion dans une esthétique qui jouxte l’âme. L’engagement suppose donc le risque de la sortie du territoire des possibles, de la toute puissance infantile. L’Indien d’Amazonie qui ose franchir le territoire balisé par les totems est dans “l’engagement ouverture”, qui le conduit à exprimer son unicité.
Découvrir le risque du devenir
“L’engagement ouverture” a son revers névrotique : “l’engagement fermeture”. C’est celui du totem ou du gardien du totem qui choisit de se réifier au point de ne devenir qu’une impossibilité à devenir, qui se refuse le droit de se nommer et préfère demeurer dans l’anonymat du clan.
Cet “engagement fermeture” est aussi celui du mercenaire, du lansquenet qui rejoint une famille pour exister, qui ne cherche qu’à cohabiter, qu’à “être avec”. Dans ce cas, l’engagement et la bande entretiennent des rapports suspects.
En Orient, les mariages arrangés participent de la même falsification de l’engagement : ils reposent sur la négation du je, de la réalisation des idéaux, du programme de vie (le nœud nord en astrologie).
Ce sont des démissions à allure de missions.
L’exacerbation du sacrifice. Or, le sacrifice qui ne prend pas appui sur le risque de devenir est démission. S’il copie l’engagement, il titube et conduit à sombrer. L’engagement autodestruction a, toutefois, son charme : il touche la compassion.
Le militant, lui, prend le risque de pousser la porte du devenir par l’action. Au nom de principes qu’il estime justes, il s’ouvre à cette dimension d’être qu’il nommera un jour “je”. On comprend que ce ne soit pas le but théorique poursuivi qui ait réellement une importance, mais bien le chemin parcouru. Que reste-t-il à la fin des fins, au moment ultime, qu’une somme d’expériences qui ont su créer la sérénité ou ancrer dans la colère ?
Se créer un gyroscope intérieur
L’enfant aime les manèges comme on peut aimer tourner autour d’un centre, s’aventurer sans danger.
Plus grand, il préfère aller de manège en manège. Il y a donc une hiérarchie : le manège est le connu, l’entre-manèges, l’inconnu. Le psychanalyste Michael Balint a qualifié ces comportements : ocnophile pour celui qui s’agrippe à la mère, comme à tout substitut (famille, situation…) ; philobate pour celui qui se sent exister dans le passage d’une sécurité à une autre, dans ce no man’s land d’insécurité.
L’engagement ouverture est encore un cran au-dessus de la “philobatie” ; il la dépasse car il est déplacement perpétuel vers une sécurité fondamentale imaginée, qui a rapport avec l’avènement du je.
Le militant se façonne à l’image de son rêve. Au bout de sa route, il s’est transmué. Il a poursuivi une quête qui ne lui a servi qu’à s’enrichir d’une humanité qu’il a conquise, qu’il s’est appropriée.
« Un jour, dans une mosquée, je les ai vus, ces yeux de l’engagement, cette beauté du regard qui démasque les enfermements et bénit ceux qui sont en marche. L’engagement passion émet une aura de beauté et démasque les contrefaçons. »
L’engagement exclusif ensanglante
Codé – mais non compris – dans les sociétés matriarcales, adeptes du mariage à durée déterminée, l’engagement provisoire a été proscrit par les sociétés patriarcales (en Inde, les dravidiens ont cédé la place aux envahisseurs). En Occident, les valeurs judéo-chrétiennes qui ont pour but la garantie de la paternité pour l’homme, ont, mécaniquement, relégué la femme à un rôle secondaire. Ce changement a induit l’avènement (le retour ?) d’une ère d’engagement à vie. Pan et ses sbires ont été détrônés car dangereux, pour laisser place à la légalisation de la soumission de la femme. La femme n’avait plus droit à s’engager que dans le sacrifice. Il lui restait cependant les douleurs et le risque lors de l’accouchement. Mais l’homme ne lui a même pas laissé l’exclusivité de ce risque. Pour mimer l’avant-création, il a mis en place la conquête, la lutte, la bataille. Au sang des menstrues, il a répondu par le sang des blessures.
Les modèles de société imposent donc des limites à l’engagement. S’engager au temps des déesses callipyges n’a rien à voir avec s’engager au temps des religions du Livre. La fidélité est devenue un ingrédient de l’engagement. Mais une fidélité à la loi de l’homme-père, pas à l’idéal pluriel que chacun porte en soi.
L’engagement ouvert humanise
Aujourd’hui, les “trucs” qui ont permis la libération de la femme inaugurent le retour de l’engagement provisoire. Avec, toutefois, l’énorme différence que cet engagement provisoire est compris comme fidélité à soi.
Accompagnant le provisoire, l’engagement prend implicitement en compte la notion de respect de l’autre et, donc, de l’engagement de cet autre. L’engagement passion devient plus nuancé, plus subtil, plus vrai. La remise en question, à tout moment, de l’engagement appartient maintenant à “l’engagement ouverture”. On se rappelle Brel qui demandait tous les jours à sa compagne des Marquises si elle l’aimait. Si l’engagement s’allège du fardeau de la durée, en contrepartie, il exige un questionnement de tous les instants. Ce travail insiste sur l’ouverture. Il “humanise”, prend en compte la communication. S’engager n’est plus synonyme d’exclure au nom de principes, si beaux et justes puissent-ils paraître, mais nécessite que soit posée la question du pourquoi de l’engagement. Il assoit l’autre – supposé engagé et constitué – comme l’une des instances de validation de l’engagement. L’autre ne peut être l’autre fantasmé, mais devient un interlocuteur obligé, une instance susceptible de corriger l’engagement.
« Un jour, après avoir regardé le film de ma vie sur mes paupières fermées, je frapperai à la porte blanche inondée de soleil.
Un vieillard silencieux me conduira dans la salle obscure, sous les regards d’une cohorte d’ancêtres invisibles.
Un être crépusculaire scrutera mes mains.
Il ne cherche que les stigmates de l’engagement. »

Laisser un commentaire