Sondage Nomade. Ces dernières années, l’essor du téléphone mobile a davantage préoccupé les sondeurs qu’il ne les a inspirés. Pourtant, parce qu’il accompagne l’individu dans tous ses déplacements, le téléphone portable ouvre de nouvelle

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By Oliviero Marchese

Ces dernières années, l’essor du téléphone mobile a davantage préoccupé les sondeurs qu’il ne les a inspirés. Pourtant, parce qu’il accompagne l’individu dans tous ses déplacements, le téléphone portable ouvre de nouvelles possibilités de questionnement, au plus près de l’individu, plutôt que du foyer. 

Pendant longtemps, l’hégémonie des enquêtes téléphoniques réalisées à domicile s’est affirmée dans l’esprit de nombreuses sociétés d’études. L’excellente gestion des échantillons et la qualité du contrôle de l’interview assurée par les systèmes CATI, la rapidité d’exécution et l’encadrement rapproché, les forts taux de participation et les coûts souvent avantageux par rapport au face-à-face, sont autant d’éléments qui ont facilité le fort développement des sondages téléphoniques pendant près de vingt ans. Pour le plus grand bonheur du statisticien, la correspondance était presque parfaite entre un numéro de téléphone et un ménage/logement, l’adresse étant connue avec grande précision. La sélection d’un individu dans le ménage posait peu de difficulté, quel que soit le type d’échantillon, aléatoire ou par quotas.

Depuis quelques années, la dégradation de la qualité des annuaires—listes rouges, exclusifs mobile, etc.—a posé de sérieux problèmes. Toutefois, la génération et la composition de numéros de téléphone assistée par ordinateur (random digital dialling) et les techniques associées ont permis d’y faire face avec brio. Aujourd’hui la téléphonie IP (Internet Protocole) complique certes la tâche des experts, mais il y a fort à parier qu’ils finiront par trouver la parade.
Le contournement régulier de ces difficultés, a détourné l’attention des sondeurs d’un avantage notable du téléphone mobile par rapport au téléphone fixe: l’individualisation du téléphone. Alors qu’il était jusqu’alors un équipement du foyer, le téléphone devient un prolongement de l’individu, un outil auquel il confie de plus en plus de fonctions de communication, parfois même la gestion de son temps.

Pour apprécier les potentialités du téléphone mobile comme mode de questionnement, il faut le prendre pour ce qu’il est, et non pas le considérer comme le téléphone fixe qu’il n’est pas.

Les détenteurs exclusifs d’un téléphone mobile—ou exclusifs mobiles—ne sont pas seulement de jeunes urbains que le manque de moyens pousserait à faire l’économie d’un abonnement au téléphone fixe. Le mobile est pour eux davantage qu’un simple téléphone, puisqu’il leur appartient en exclusivité. Il est leur point de contact, sans rupture d’espace ni de temps. Au bureau, à la fac, au café, dans un magasin, dans la rue … il suffit de s’isoler. Tout lieu se prête à la communication, et pourquoi pas, à l’enquête.

Hors de son foyer, l’individu active ses propres relations, et la technologie entre en résonance avec la tendance à l’individuation de plus en plus présente dans les sociétés avancées. L’essor du téléphone mobile n’est plus seulement un sujet d’études marketing, ou une simple tendance à prendre en compte dans l’amélioration de la qualité de nos échantillons. Il offre de véritables perspectives au regard du mode de recrutement et d’interrogation des individus en situation de mobilité.

L’individu ne serait-il pas mieux disposé à répondre à des questions personnelles s’il est contacté sur son téléphone portable ? La relative intimité qui se créée grâce au mobile facilite l’interview plus qu’elle ne la perturbe. Pour autant, le mobile n’est pas le seul garant de la sincérité de l’individu : davantage que le vecteur du contact, c’est bien le questionnaire qui fait la différence. Pour apprécier les potentialités du téléphone mobile comme mode de questionnement, il faut le prendre pour ce qu’il est, et non pas le considérer comme le téléphone fixe qu’il n’est pas.
L’intimité que nous entretenons avec notre mobile doit être valorisée: ces potentialités seront occultées, si l’on tente de ‘faire du fixe avec du mobile’. C’est un nouveau paradigme d’interrogation qu’il faut nous adopter: rechercher des nouvelles manières d’échantillonner, de collecter et de pondérer les informations obtenues.

Il faut imaginer d’autres façons de questionner : lors d’une interrogation directe en auto-administré, les questions doivent être courtes, les icônes préférées aux items littéraux pour les réponses, la présentation du questionnaire adaptée à l’appareil de la personne interrogée. Ces problématiques sont semblables à celles soulevées par le online, avec comme le haut débit, les promesses de la 3ème Génération (3G) qui permettent d’envoyer des sons et des images sur les terminaux sollicités.

Les expériences d’interrogation d’exclusifs mobile (avec enquêteur) montrent que les taux de réponse sont comparables aux enquêtes réalisées sur téléphone fixe. Toutefois, si le lieu affecte peu la qualité de l’interview, l’exigence de rapidité ressort de façon plus aigüe que lors des enquêtes sur téléphone fixe.

Sur le plan de  l’échantillonnage, le défi est stimulant. Sur leur mobile, les personnes bénéficient d’une plus grande souplesse, avec des amplitudes temporelles plus larges, et une plus grande variété de sollicitations–push SMS (message texte) MMS (message avec image), bluetooth, appel d’un enquêteur (avec ou sans message texte). Enfin, l’interrogation peut être immédiate ou différée. Les taux de participation varient en fonction du mode de contact et d’interrogation, ainsi que du moment de sollicitation.

Le mobile va être le moyen le plus universel d’accéder à l’individu, en tout lieu et à tout moment de la journée. Il serait temps que les sondeurs s’y intéressent de plus près.

Faire entrer toutes ces modalités de contact et d’interrogation dans le cadre strict de l’échantillonnage aléatoire, est évidement compliqué : il implique notamment de connaître la probabilité d’inclusion de l’individu interrogé à l’échantillon sélectionné.

Nier la pertinence de l’outil serait pourtant le signe d’un esprit étroit. Peu d’études échappent après tout aux contraintes pratiques de l’enquête. La réponse se trouve davantage dans la correction d’éventuels biais que dans l’application rituelle de méthodes aussi dogmatiques qu’inapplicables. De ce point de vue, les réflexions sur la collecte et l’exploitation des résultats doivent être menées en parallèle. Et la modélisation croissante des données d’enquête semble de plus en plus incontournable pour le sondeur.

L’interrogation via téléphone portable est assurément l’un des modes de collecte des années à venir, avec ses atouts et ses difficultés spécifiques. Les moyens de contact sont nombreux, avec l’annuaire universel qui recense les abonnements mobiles, le random digital dialling, les access panels ou fichiers clients, et les push en tout genre. Et ce d’autant que le numéro de téléphone mobile est étroitement lié aux actes de la vie quotidienne ; spontanément, c’est ce numéro que les clients confient à leur banque, ou au loueur de voiture. Via le portable, les individus pourront être interrogés au plus près de l’évènement, leurs humeurs captées lors d’un acte d’achat, ou d’une exposition publicitaire dans la rue.

Il faudra certes adapter les protocoles d’enquête aux spécificités ergonomiques de l’outil, aux contraintes juridiques aussi. Qu’importe, objet éminemment personnel, le mobile a quitté le rayon des gadgets élitistes pour celui des biens personnels quasi indispensables. Il devient le moyen le plus pratique d’accéder à toute sorte de services: de la réservation de taxi à la consultation du compte bancaire, du téléchargement du dernier clip de notre artiste préféré à la visualisation du journal télévisé. Les taux d’équipement s’emballent sur tous les continents, pour atteindre dans certains pays des niveaux de saturation. Le mobile va être le moyen le plus universel d’accéder à l’individu, en tout lieu et à tout moment de la journée. Il serait temps que les sondeurs s’y intéressent de plus près.

Docteur en sociologie (1987, Université de Rome), Oliviero Marchese s’intéresse depuis vingt ans aux méthodes d’enquêtes, notamment la collecte des données, les analyses statistiques, et la modélisation des données. Après avoir travaillé au sein de plusieurs instituts français et italiens, il a rejoint Ipsos en 1995, en qualité de Directeur des méthodes d’Ipsos Public Affairs. Depuis 2000,  A modifier il dirige les Opérations d’Ipsos en France. Depuis trois ans, il est enseignant auprès du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris.
Contact:
oliviero.marchese@ipsos.com.

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