Quel est l'impact de la crise sur le comportement des annonceurs?
Bernard
Gassiat. Concernant la crise, il faut dissocier les phénomènes
conjoncturels des phénomènes structurels. Côté conjoncturel, la crise de
la dette suscite une certaine prudence de la part des annonceurs.
Toutefois, on n'assiste pas au désinvestissement constaté il y a trois
ans. Le leçon a été retenue. Mais, avec la révolution numérique, il
existe dans notre métier des phénomènes structurels bien plus
importants. Les business models sont remis en cause, les points de
contact se démultiplient, les messages et les canaux sont de plus en
plus nombreux. Nous sommes dans une période de transition majeure.
Comment faire face à ces changements en profondeur? Au Club des
annonceurs, nous pensons que la réponse passe par la marque, c'est elle
qui fédère les discours et les actions, c'est elle qui donne un sens et
assure la cohérence dans la durée. En fait, les fondamentaux de la
communication ne bougent pas: on a toujours besoin d'être connu, de
créer de la préférence pour sa marque et du trafic. En revanche la façon
d'intégrer l'ensemble évolue fortement.
En quoi cette révolution digitale peut-elle être une opportunité pour les marques en cette période de crise?
B.G.
La crise permet de catalyser les changements, et notamment grâce au
digital. Il est intéressant de noter que dans les pays les plus touchés
(la Grèce, l'Italie, l'Espagne, etc.), les investissements dans le
numérique semblent notablement augmenter, car le numérique peut être un
levier d'efficacité a court terme, leviers traditionnellement
privilégiés dans les périodes difficiles. Le digital apporte aux
annonceurs la possibilité de toucher leurs cibles de façon plus juste et
personnalisée, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Il permet
également d'aller plus loin en contenu pour donner de la profondeur au
discours et faire vivre la marque, c'est tout l'enjeu du "brand
content". Mais pour être efficace commercialement, il faut d'abord
émerger. L'enjeu, aujourd'hui, est de ne pas oublier la construction de
la marque dans la durée sous prétexte d'efficacité à court terme. Les
deux doivent être mêlés pour être efficaces. En terme d'image et de
notoriété, le digital n'est pas le vecteur le plus puissant, cela reste,
à ce jour, un média complémentaire.
Quelles sont vos attentes en matière de mesure d'efficacité des actions digitales?
B.G.
Si, indéniablement, en matière de ROI, le digital permet un pilotage
fin de la mesure de l'efficacité, ce n'est pas la même chose dès lors
que l'on parle de notoriété et d'image. Quelle est la valeur d'un GRP
digital sur une plateforme de vidéos – si tant est qu'il existe – par
rapport à un GRP TV? Si on prend le cas d'actions menées sur les réseaux
sociaux, leur efficacité n'est pas toujours évidente. Cela varie aussi
selon le type d'annonceur. Quand on est une marque de sport ou de luxe,
on suscite une appétence spontanée plus forte que lorsqu'on est une
banque ou une assurance. Le potentiel viral des contenus n'est pas le
même. Mais l'attente de tous les annonceurs en terme de mesure
d'efficacité est évidemment d'obtenir une lecture comparable, avec des
indicateurs fiables, des différents leviers qu'ils peuvent utiliser pour
jouer efficacement de leur complémentarité. Même dans le digital, ne
perdons pas de vue la dimension qualitative. L'arrivée des «ad
exchange», par exemple, permettra sans doute d'optimiser une démarche
de ROI et fera d'autant plus sens qu'elle permettra d'affiner la qualité
du ciblage, mais elle ne doit pas renforcer la complexité de lecture et
d'achat pour l'annonceur.
Les marques et leurs entreprises sont-elles organisées pour affronter cette révolution?
B.G.
Il est évident que les organisations en silos sont remises en cause
par cette nécessité d'avoir une vision d'ensemble cohérente. Il faut
apprendre à mieux travailler les uns avec les autres. Au sein de
l'entreprise, et notamment dans nos métiers de la communication, chacun
doit s'interroger sur son rôle, sa valeur ajoutée, et évoluer pour
intégrer la part "numérique" de son poste. Au Club des annonceurs, nous
avons mené, avec TNS Sofres, une étude "métiers" pour identifier les
nouvelles compétences requises. Cette dernière fait clairement ressortir
que, au delà des spécialistes nécessaires, l'enjeu pour les pilotes de
marque est d'abord d'avoir une vision globale et cohérente. Le digital
est un moyen de plus pour répondre plus finement aux exigences de notre
métier.
Dans ce nouveau contexte, quel est le rôle des agences ?
B.G.
La logique globale du «mix» reste l'apanage de l'annonceur. Mais les
agences aussi font et doivent continuer à faire, à leur niveau, un
travail d'intégration. Intégration autour de la marque pour définir un
sens cohérent dans la durée, intégration entre les canaux pour maximiser
l'efficacité. Au final, c'est toujours par le sens donné à la marque,
par l'identification d'un objectif clair, que l'on trouve la meilleure
façon de fédérer les moyens dont on dispose. Face à cette complexité
accrue, les marques n'ont jamais eu autant besoin des agences
qu'aujourd'hui pour réussir à émerger. Or, l'efficacité de la relation
entre annonceur et agence nécessite un partenariat dans la durée qui
permet de se connaître et de s'investir à moyen terme pour trouver des
idées nouvelles sans que la rentabilité soit forcément immédiate. La
rentabilité des uns et des autres passe par cette capacité à construire
ce véritable partenariat.
Mais la production d'opérations digitales est chronophage et souvent peu rentable pour les agences…
B.G.
C'est vrai, aujourd'hui le numérique est loin d'être rentable tant du
côté des annonceurs que des agences. Il s'agit pour chacun d'intégrer
les évolutions et d'investir pour l'avenir. Nous sommes encore souvent
en phase de découverte et d'apprentissage. D'où la nécessité d'avoir une
partenariat global qui permette de construire une relation
gagnant-gagnant. Cela ne peut se faire sans payer ses agences
correctement. Il est de la responsabilité des annonceurs d'avoir une
politique de rémunération, cohérente avec leur niveau d'exigence. Tout
comme il est bon que les agences intègrent de nouvelles logiques, de
nouvelles compétences. L'initiative de l'AACC, qui travaille sur le
Start Up Project [programme de soutien à des start up innovantes], va
tout à fait dans ce sens. Plus largement, l'enjeu pour les agences est
de jouer un rôle de pivot et de coordination des différents métiers
spécialisés et des différents canaux, et ce, en se focalisant
prioritairement sur le sens et non sur les tuyaux.
Ces changements de fond se traduiront-ils par une accélération du transfert des budgets au profit du numérique?
B.G.
Demain, on ne dira plus "numérique ou pas numérique". Avec la TV
connectée ou les liens entre TV et tablettes, par exemple, on ne se
posera pas la question en ces termes. Tout sera numérique et numérisé,
tout sera relié. Déjà aujourd'hui, pour un annonceur, le problème n'est
pas de répartir un budget a priori, mais de trouver le mélange le plus
efficace en fonction de l'objectif auquel il doit répondre et de la
nature de sa concurrence. Dans le cadre d'enveloppes budgétaires
fermées, cela contraint parfois à faire des arbitrages sur des media
complémentaires. Ces arbitrages dépendent avant tout de la nature de
l'opération et du registre utilise par l'annonceur concerné.
Mais
les marques, toujours plus présentes sur le Web, ont-elles réellement
pris la mesure de l'importance de maîtriser leur e-réputation?
B.G.
Le décalage entre le discours émis et l'expérience consommateur est de
moins en moins admis, du fait du droit de réponse en quelque sorte
offert à l'internaute via les réseaux sociaux. C'est en soi une
révolution pour les marques. La prise de conscience est réelle chez les
annonceurs, ne serait-ce que parce que les retours via les médias
sociaux sont bel et bien là. Et il y aura toujours un décalage entre le
discours et la réalité du terrain, même si notre travail est de le
réduire au maximum. De toute évidence, les annonceurs doivent réfléchir à
des politiques de communication de crise liée à l'e-réputation bien
plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent.

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