Faux avis et e-reputation : l’administration saura-t-elle faire le ménage dans la jungle des sites de recommandation ?

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La Direction Générale de la
Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes lance
une grande enquête pour épingler les entreprises qui font leur
auto-promotion par des faux avis de consommateurs sur Internet. Ces
dernières, coupables de "pratiques commerciales trompeuses", n'ont
encore jamais été condamnées. Peut-on garantir que les avis émanent
réellement des consommateurs ?

 
Pour lutter contre les faux avis de consommateurs sur Internet, le concept de label ne serait pas la panacée.

Pour lutter contre les faux avis de consommateurs sur Internet, le concept de label ne serait pas la panacée.  Crédit Reuters

Atlantico : Alors que la
Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes (DGCCRF) examine les sites Internet,
l'Association française de normalisation (l’Afnor) se penche sur la
création d’une norme pour lutter contre les faux avis d’internautes
déposés par les professionnels désireux de dorer leur « e-réputation ». 
L’Afnor et la DGCCRF ont-elles vraiment les moyens d'endiguer l'auto-promotion sur internet ?

Alexandre Villeneuve : Il ne faut en tout cas pas espérer pouvoir éliminer tous les faux avis
qui foisonnent sur le net. Il s’agit de montrer des exemples, en
punissant devant la justice quelques sociétés dont les avis auront été
détectés. Il suffit de deux ou trois procès pour faire
réagir pas mal de monde, notamment les sociétés spécialisées. Car le
problème est, je pense, que les entreprises, et notamment les hôteliers, ne se rendent pas compte que c’est interdit, parce que « tout le monde le fait ».

Au-delà
de la justice, parmi les outils proposés, on compte un label "les avis
de ce site respectent la norme Afnor", l'identification de l'auteur du
commentaire, l'accès aux anciens commentaires de l'internaute ou la
possibilité de le contacter, et enfin l'obligation de fournir la preuve
de l'achat avant de pouvoir donner son avis. Seront-ils efficaces ?

L’idée
du label n’est pas mauvaise, mais difficile à mettre en œuvre : il est
peu probable que les internautes s’intéressent au label Afnor et qu’ils
prennent le temps de comprendre à quoi celui-ci correspond. Le concept de label ne marche pas plus que ça,
du moins sur internet. De plus, étant donné que cela ne peut pas être
rendu obligatoire, seuls certains sites proposeront ce label. Or les
consommateurs se tournent en général vers le premier site référencé par
Google, sans chercher plus loin.

Lire les anciens
commentaires des internautes permettrait de voir qui sont les plus
grands contributeurs, donc les plus fiables a priori. Mais cela
n’empêche pas qu’un utilisateur puisse servir les intérêts de telle
entreprise : il suffit qu’il publie un plus grand nombre de commentaires
pour devenir crédible.

Conditionner le dépôt de
l’avis par une preuve d’achat me semble peu faisable, car les sites qui
permettent de donner son avis ne sont pas forcément des sites d’achat.
Dans le milieu de l’hôtellerie, il y a bien Booking, qui permet d’être
sûr que l’avis émane effectivement d’un client. Mais donner un monopole à
Booking revient à privilégier les grands fournisseurs et à priver les
petits de commentaires. Ce serait presque anticoncurrentiel.

Quant à la possibilité de contacter l’auteur, je n’y vois pas vraiment d’intérêt. Rien ne les force à répondre.

En revanche, inciter à ce que les internautes utilisent leur vraie identité est une bonne idée. Pourquoi ne pas associer leurs avis à leur page Facebook, leur Twitter ou leur blog ?
Evidemment, tout le monde n’acceptera pas de laisser des avis avec son
identité propre, mais du moins, pour ceux qui l’auront fait, leurs avis
seront très crédibles.

Plus généralement, je pense
qu’il sera facile de lutter contre le dénigrement des concurrents ou
l’autopromotion sur les propres pages Facebook des entreprises. Sur les
forums spécialisés, la tâche est un peu plus difficile, puisque les
internautes utilisent des pseudonymes. Quant à la « modération
tronquée » (suppression des commentaires qui sont négatifs), c’est
pratiquement impossible de l’empêcher.

Quels sont les secteurs les plus concernés par les faux avis sur Internet ?

La DGCCRF semble avoir perçu le problème dans le secteur hôtelier, mais il existe partout.
Elle doit agir fortement dans tous les secteurs, au moyen de robots,
voire même avec un formulaire de telle sorte que les internautes
puissent signaler un faux commentaire.

La DGCCRF estime que le problème « est né il y a 2 ans et qu'il est depuis monté en puissance ».  Le phénomène est-il si récent ?

Ce
qui m’étonne, c’est que la DGCCRF ne s’intéresse à cette question que
maintenant. Le phénomène a toujours existé. Peut-être qu’effectivement,
il y a une certaine accélération depuis deux ans, et que le problème est
désormais tellement flagrant que la DGCCRF doive s’y atteler. Mais dès
2008, l’UFC Que choisir dénonçait ces pratiques. Des entreprises ont,
elles, déjà tenté de lutter contre les avis négatifs qui provenaient des
concurrents. Annoncer que le problème n’a que deux ans est un peu osé.

C’est
d’autant plus dommage que, depuis, les avis ont proliféré, ainsi que
les sociétés spécialisées dans le dépôt d’avis. S’il y avait eu des
exemples d’hôteliers, de sociétés, attaqués il y a 5 ou 6 ans, nous n’en
serions pas là aujourd’hui. Maintenant, même les chefs d’entreprise honnêtes
se tournent vers les faux avis, puisque tout le monde le fait. Ne pas
avoir d’avis positifs est un désavantage concurrentiel. Ils y sont donc
presque obligés.

Pourquoi a-t-on mis tellement longtemps à s’intéresser au problème ?

Je
crois que les moyens de la DGCCRF ne sont pas assez conséquents.
Peut-être que la lutte contre les faux avis ne faisait pas partie de
leurs priorités à l’époque. La direction détient néanmoins les moyens
légaux de lutter, dans certains cas.

Qui sont ces sociétés spécialisées dans la publication de faux avis ? Comment la DGCCRF peut-elle lutter contre ces dernières ?

Elles sont relativement difficiles à trouver directement, car plutôt discrètes et souvent basées à l’étranger.
Aussi sont-elles généralement inatteignables. Evidemment, étant donné
qu’elles gagnent de l’argent en France, on peut trouver des outils
juridiques pour les mettre en cause. Mais elles séviront toujours. La
lutte est inégale et la DGCCRF, ou la justice, aura toujours un train de retard. Ce qui est sûr, c’est que si on attaque directement l’hôtelier, le message sera fort.

En
revanche, j’aimerais que l’on n’assimile pas toutes les entreprises
d’e-réputation à ces sociétés spécialisées dans la rédaction de faux
avis.

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