L’avenir incertain du spot de pub dans la télévision du futur

La vie réserve des surprises réjouissantes.
Ainsi, la ménagère de moins de 50 ans, « accro » à « L'amour est dans le
pré » sur M6,
est désormais délestée d'un certain nombre d'angoisses existentielles.
Elle sait qu'elle retrouvera les nouvelles péripéties amoureuses de son
fermier préféré sur de multiples écrans : télévision « en live »,
« différée » (catch-up TV) box Internet (IPTV), smartphone, tablette,
ordinateur… Dans le même temps, elle ne ratera aucun des écrans
publicitaires qu'auront achetés les annonceurs de « grande
consommation » qui la suivent à la trace. Des écrans acquis tantôt
auprès de la chaîne historique. Tantôt en « package » sur les différents
écrans digitaux où M6 diffuse le programme. Tantôt enfin, en
s'adressant aux deux « guichets », l'un classique, l'autre incarnant la
« télévision du futur ».

Même mécanique
sur TF1, où la régie publicitaire monétise 100.000 euros brut le spot de
pub sur « The Mentalist » (40 % de part d'audience sur la cible des
ménagères), lorsqu'il est diffusé sur TF1 classique… et le vend de
manière moins onéreuse (180 euros en catch up TV) mais de plus en plus
importante sur ses différents canaux digitaux. Le spot de pub
viendrait-il de sauver sa peau dans un univers multitâches et d'écrans
multiples ? L'interrogation est moins gratuite qu'il n'y semble.

Fidéliser les téléspectateurs

Depuis
dix ans, date de l'arrivée du haut débit sur Internet et de la
multiplication des vidéos publicitaires sur le Web, les observateurs
s'inquiètent : le spot télévisé de trente secondes serait-il voué, comme
l'ont été le Minitel et le magnétoscope, à rejoindre le Muséum
national d'histoire naturelle aux côtés des brontosaures et autres
ptérodactyles ? Bref, le « media planning » de papa a-t-il vécu et avec
lui, les grands concepts de « rendez-vous » télévisés ?

«Nous nous sommes posés la question il y a quatre
ans. Comment fidéliser les téléspectateurs devant des programmes en
prime time s'ils avaient désormais la possibilité de les regarder en
diffusion différée à tout moment de la journée, là où ils le
voulaient ? »
, indique Laurent Solly, directeur général de TF1 Publicité.  « Nous
avons tranché en décidant qu'il fallait exposer au maximum nos produits
forts sur tous les écrans, en maintenant en parallèle une puissante
logique de rendez-vous - le grand film du dimanche soir, une fiction
familiale humoristique le lundi soir… -sur la télévision classique. »

En somme, utiliser l'écran traditionnel comme « vitrine » pour mettre
en valeur les produits phares de la chaîne. Quitte à les décliner
ensuite, ailleurs, avec des passages inédits qui entraînent l'internaute
vers d'autres supports tels que les réseaux sociaux.

A l'arrivée, un pari que Laurent Solly estime gagné puisque « non
seulement il n'y a pas eu de cannibalisation des contenus classiques
par les contenus digitaux, mais la consommation globale de télévision a
augmenté ». Même constat du côté de Ronan de Fressenel, DGA marketing
et études de M6 Publicité : « La multiplication des écrans permet de
créer une fidélisation sur certains de nos programmes. Les gens savent
que, s'ils ratent un épisode de la série "Desperate Housewives", ils
pourront le retrouver en différé et cela les incite d'autant plus à
suivre la série. »

 

Moralité, la télévision traditionnelle en « live », gloutonne, absorbe toujours plus du temps libre des individus : « Nous
avons gagné quinze minutes d'écoute en 2011 et six minutes en 2012.
Nous nous approchons aujourd'hui de quatre heures de consommation
quotidienne », relève Ronan de Fressenel, précisant que « 80 % de cette
hausse sont venues de la télévision en temps réel ».

Faible audience du numérique

Mais
pour combien de temps encore ? Même si l'audience sur les canaux
numériques ne représentait que 3 % du total en 2011… les nouvelles
technologies galopent à fond de train, séduisant à tour de bras de
nouveaux usagers.

Zysla Belliat,
présidente de l'Irep (Institut de recherches et d'études publicitaires)
et directrice générale d'Aegis Media Solutions, réfléchit longuement
avant de délivrer une réponse ambivalente : « Le spot de pub
classique est-il en voie de disparition ? Oui et non. La logique
verticale des contenus avec l'émetteur, le diffuseur et le récepteur a
explosé. Et le film publicitaire est un contenu comme un autre. Il est
alors clair que le spot de pub ancien, diffusé à midi pour un produit de
grande consommation et destiné à la ménagère est mis à mal
. De
plus en plus de gens s'affranchissent des contraintes horaires et des
supports. Nous ne disposons plus de la même latitude pour imposer un
"media planning". »

Dans un contexte que Zysla Belliat qualifie alors de « "darwinien"
, les contenus doivent s'adapter ou mourir ». Sauf que, de son propre aveu, tout n'est pas si simple. Des comportements très différents coexistent. « L'écoute affranchie affiche une énorme progression, mais une grande part de l'écoute demeure traditionnelle. »
Clivages générationnels, entre Paris et province, entre CSP+ et CSP-.
Autant de raisons pour expliquer des modes de consommation différents.
Moralité, dans une France qui se situe encore au milieu du gué et où les
mesures d'audience diffèrent encore selon les écrans, « le juge de paix
va être l'efficacité du spot, qu'il s'agisse de ventes, d'image ou de
notoriété », conclut Zysla Belliat. Rien de tel que le bon vieux
pragmatisme.

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