Nestlé revient sur les réseaux sociaux avec une approche radicalement nouvelle qui est basée sur l’écoute et la conversation numérique en temps réel. Par Olivier Cimelière

Médias sociaux : Quand Nestlé apprend intelligemment de ses erreurs passées

Nestlé - DAT logo communication

Cloué au pilori pour sa calamiteuse gestion d’un bad
buzz avec Greenpeace en 2010, Nestlé revient sur les réseaux sociaux
avec une approche radicalement nouvelle qui est basée sur l’écoute et la
conversation numérique en temps réel. Le n°1 mondial a récemment ouvert
les portes d’un centre unique en son genre aux journalistes de Reuters.
Désormais, il est hors de question d’ignorer les alertes émergentes ou
d’y répondre de manière inappropriée.

Dans les manuels de gestion de crise sur les réseaux sociaux, Nestlé
incarne certes encore le parfait contre-exemple de l’entreprise
multinationale aux antipodes de la communication moderne. En 2010, le
géant suisse avait été en effet confronté à une vaste offensive activiste menée sur Internet par Greenpeace.
A coups de vidéos dénonciatrices et de commentaires rageurs de ses
militants et de ses alliés, l’ONG entendait faire plier le n°1 mondial
coupable à ses yeux de n’avoir pas respecté ses engagements de cesser
l’usage de l’huile de palme dans ses barres chocolatées KitKat.

Du bad buzz à l’électrochoc !

L'épisode Greenpeace fut un douloureux apprentissage

La « blitzkrieg » digitale fut d’une viralité tellement foudroyante
sur la Toile que la société helvétique s’est vite sentie acculée et sur
la défensive maximale. Elle a alors multiplié les initiatives
malheureuses en menaçant de représailles juridiques les internautes qui
s’étaient amusés à pasticher le logo de la marque sur Facebook. En
parallèle, elle a missionné des avocats pour faire retirer illico les
vidéos incriminant outrageusement les produits Nestlé. Bien loin de
calmer le jeu, la réplique de Nestlé n’avait fait qu’amplifier
l’opposition et décupler les attaques partout où Nestlé était présent
sur la Toile. Devant ce bourbier réputationnel inextricable, Nestlé
avait fini par baisser la garde et donner quitus à ses adversaires.

L’épisode malencontreux aura néanmoins eu un mérite : celui de créer
un salutaire électrochoc au sein du top management de Nestlé.
Régulièrement pris à parti au sujet de diverses controverses dans le
monde entier, les dirigeants ont alors pris conscience qu’il fallait
radicalement transformer l’approche communicante quelque peu obtuse de
l’entreprise qui prévalait jusqu’alors sur les médias sociaux. Le
premier signe concret du changement entrepris par Nestlé s’est alors
traduit en mars 2011 avec le recrutement de Pete Blackshaw comme
directeur mondial du marketing digital et des médias sociaux.

A l’époque, la recrue est présentée sans ambages comme le socle de
départ d’une radicale transformation de Nestlé dans l’univers des médias
sociaux. Interrogé par le magazine professionnel Advertising Age, Robin Tickle, directeur des relations médias pour le groupe Nestlé, justifie ce renfort par le fait que (1) « Nestlé
dispose d’un large éventail d’activités dans les médias sociaux, à
travers le monde et sous différentes marques. Pete a été sélectionné
pour apporter dans ce domaine plus de cohérence et d’alignement
vis-à-vis de nos actions marketing et communication corporate
».

Le digital aux manettes

Plus de 20 personnes se relaient pour écouter et converser

Même si les termes sont diplomatiquement choisis, nul ne doute que
Nestlé s’apprête désormais à entrer désormais dans une nouvelle
dimension digitale et à renvoyer aux oubliettes du passé, le piteux
épisode Greenpeace. Diplômé de Harvard et passé par la rigoureuse école
marketing de Procter & Gamble, Pete Blackshaw a
accompli l’essentiel de son parcours professionnel dans la
communication numérique au point d’acquérir un enviable et reconnu
statut de gourou depuis 2006 en officiant comme directeur marketing de NM Incite, une agence digitale codétenue par le n°1 des études de marché Nielsen et le cabinet de consulting McKinsey.

Près de 18 mois plus tard, c’est effectivement un Pete Blackshaw
radieux qui a présenté aux journalistes de Reuters, l’ambitieux
dispositif numérique mis en place par Nestlé pour être plus proche et
synchrone avec ses potentiels détracteurs. Un dispositif qui s’est
concrétisé par le doublement des budgets consacrés aux médias sociaux et
la création d’une équipe d’une vingtaine de personnes entièrement
dédiées à ce domaine. Implantée au cœur même du siège mondial de Nestlé à
Vevey en Suisse, l’équipe surnommée « Digital Accelerators » est
branchée 24 heures sur 24 sur les conversations qui se déroulent sur le
Web à propos de Nestlé, de ses activités et de ses produits.

L’endroit ressemble visuellement à une impressionante war-room à
mi-chemin entre la salle de marché des traders et la tour de contrôle
d’un aéroport. Bardée d’écrans de contrôle équipés du logiciel de veille
en ligne de Salesforce,
les membres de l’équipe scrutent en permanence l’humeur des internautes
à l’égard de la multinationale suisse. Au journaliste de Reuters, Pete
Blackshaw détaille (2) : « Si un sujet négatif émerge, il devient
rouge. Quand il y a un nombre élevé de commentaires, le système alerte
alors que vous devez engager le dialogue
».

Agir plutôt que subir

Protéger la réputation de façon proactive et ouverte

Nestlé n’est pas la première société d’envergure à se doter d’un
pareil dispositif de veille numérique. Des sociétés comme Dell et UPS
recourent déjà à cette technique pour être constamment au fait de la
réputation en ligne de leur enseigne. Toutefois, compte-tenu des avatars
récents vécus par Nestlé sur les réseaux sociaux, la démarche montre
qu’il est possible de s’extirper de la communication bunker longtemps en
vigueur dans les hautes sphères dirigeantes du n°1 mondial pour
privilégier une approche nettement plus pro-active et engagée.

Pete Blackshaw insiste de surcroît sur l’éthique qui sous-tend
impérativement la mission des Digital Accelerators de Nestlé. Sont
bannis par exemple les achats massifs de fans pour augmenter
artificiellement la popularité d’une marque ou encore les subventions de
billets positifs auprès de blogueurs influents. De même, lorsqu’un
membre de l’équipe prend la parole sur la Toile, il doit impérativement
le faire à visage découvert et en affichant publiquement son affiliation
au géant alimentaire. En d’autres termes, la réputation online de
Nestlé doit reposer sur des pratiques saines et ouvertes d’esprit.

A ce sujet, une anecdote est assez révélatrice du vent nouveau qui
souffle sur la stratégie sociale de Nestlé. La firme suisse a récemment
tenu à remercier ses fans sur Facebook pour avoir franchi la barre
symbolique des 600 000 « likes ». Aussitôt, un internaute britannique a
ironiquement répliqué (3) : « Nous ne sommes pas tous des fans. Si
certains ont rejoint (NDLR : la page), c’est pour pouvoir protester
contre votre éthique et passer le mot pour boycotter durablement vos
produits
». En d’autres temps, le message se serait probablement vu
effacer de la timeline. Pas cette fois avec en bonus, le commentaire
suivant de Nestlé : « C’est une remarque juste. Le terme de « fan »
et « like » ne s’applique pas idéalement à tous. Ceci dit, nous
accordons de la valeur pour chacun des commentaires émanant des 600 000.
Merci pour votre réaction
» !

De l’importance d’écouter

Depuis août 2012, Peter Brabeck s'est engagé via un blog

Bernhard Warner, cofondateur de l’agence de consulting Social Media Influence basée
à Londres, est catégorique sur l’importance capitale de l’approche
développée aujourd’hui par Nestlé sur les médias sociaux (4) : « Ces
10 dernières années dans le monde corporate, un des faits les plus
signifiants qui s’est imposé est l’idée du respect et de l’écoute de ce
que vos fans ont à dire, y compris leurs critiques. Cela a totalement
bouleversé l’univers de la gestion de crise et de la réputation et
toutes les actions qui en découlent
».

Loin de se satisfaire uniquement des charmantes photos de chiens et
chats postées par des internautes fanas des marques de Nestlé, l’équipe
de Pete Blackshaw est également sur le pont dès qu’un sujet sensible
commence à poindre ou à se réactiver. Il en est un notamment où Nestlé
est régulièrement harcelé par des opposants très bien structurés : l’eau
en bouteille. N°1 mondial de ce secteur alimentaire, l’entreprise
helvétique a été à nouveau sous le feu des critiques avec la diffusion
dans plusieurs pays d’Europe, de « Bottled Life », un documentaire extrêmement polémique sur l’exploitation industrielle de l’eau effectuée par Nestlé et sa division globale, Nestlé Waters.

Loin d’esquiver et de se retrancher derrière la menace comminatoire
de l’avocat de service, Nestlé est monté au front en août 2012 avec
l’ouverture d’un blog spécifique intitulé « Water Challenge ».
Signé de la main même de Peter Brabeck-Letmathe, président du conseil
d’administration de Nestlé et engagé de longue date sur la problématique
de l’eau. La lecture du blog est plutôt édifiante. Aucun reproche n’est
éludé. A une internaute qui accuse Nestlé de n’avoir pas installé un
puits pour les habitants à proximité de leur usine d’embouteillage au
Pakistan, Peter Brabeck répond … 2 heures plus tard (5) : « Ce n’est
pas vrai. Nous avons installé deux systèmes de filtration d’eau dans la
région auxquels peuvent accéder plus de 10 000 personnes et nous sommes
en train d’en construire un troisième
». On est décidément à des
années-lumière du « fail » ravageur de Nestlé et KitKat sous la pression
des assauts numériques de Greenpeace !

Conclusion – Une démarche à amplifier

Nouvel état d'esprit numérique réussi pour Nestlé !

En osant remettre en cause le vieil état d’esprit frileux qui a
longtemps gouverné sa communication corporate, Nestlé a réalisé une
remarquable transformation dont bien d’autres sociétés peuvent
s’inspirer pour intégrer les réseaux sociaux dans leurs stratégies de
communication autrement que comme des panneaux publicitaires
supplémentaires. Même si Nestlé utilise également ces mêmes réseaux pour
promouvoir ses marques, le géant suisse s’applique désormais à
alimenter une conversation active et argumentée avec ses divers publics,
sujets qui fâchent inclus.

En peu de temps, le résultat est déjà payant. Dans le classement établi chaque année par l’organisme américain Reputation Institute,
Nestlé est passé de la 16ème place en 2011 à la 12ème en 2012. Un bond
que confirme Nicolas Trad, consultant au sein d’une agence de New York
qui gère un baromètre d’opinion de 100 000 consommateurs : « Ils ont
une très forte réputation au sein du grand public. Cependant, si l’on
regarde un peu plus profondément, nous notons que les perceptions au
sein des leaders d’opinion – les universitaires, les régulateurs, les
nutritionnistes, les ONG – sont nettement plus faibles que chez les
consommateurs. Cela constitue un risque dans la mesure où ce groupe est
souvent précurseur
».

A cet égard, il est d’ailleurs surprenant de noter que la division globale de Nestlé, Nestlé Waters est
d’une grande discrétion sur les réseaux sociaux. Sur son site
corporate, on remarque juste une timide page Facebook intitulée « The Upcycling Factory »
et ouverte en juillet 2012 pour évoquer le recyclage des bouteilles
plastique. C’est bien la seule émanation sociale de l’entité Nestlé
Waters. Pour le reste, il est par exemple impossible de retrouver le
blog de Peter Brabeck qui parle pourtant ouvertement d’intéressantes
problématiques liées à l’eau et aux activités de … Nestlé Waters. De
même, le fil Twitter de la division globale se
contente essentiellement de faire du pédagogico-ludique. Etonnant à la
lumière de la pertinente stratégie déployée par Pete Blackshaw et ses
équipes où le dialogue digital n’est pas un simple et gentillet filet
d’eau !

NDLR : A mes lecteurs, il m’importe
de préciser que j’ai exercé de 1994 à 2007 plusieurs responsabilités de
communication interne, externe et numérique au sein de Nestlé Waters.
Cela n’affecte en rien le regard que j’exprime à travers ce billet mais
je tenais à préciser ce point.

Sources

(1) – Jack Neff – « Nestlé hires Pete Blackshaw as Global digital chief » – Adage.com – 4 février 2011
(2) – Emma Thomasson – « At Nestlé, interacting with the online enemy » – Reuters – 26 octobre 2012
(3) – Ibid.
(4) – Ibid.
(5) – Ibid.

En complément

A relire, le billet du Blog du Communicant 2.0 consacré au bad buzz Nestlé/KitKat et Greenpeace (20 mai 2010)

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