Entre un planneur stratégique et un DJ : beaucoup de points communs ! Jean-Philippe Martzel Directeur général adjoint en charge du planning stratégique de DigitasLBi France

Lors de la dernière soirée de DigitasLBi Paris, il s'avéra que
deux des quatre DJ's sélectionnés par le comité des fêtes de l'agence,
étaient planners stratégiques. En tant que planner et ayant moi-même par
le passé officié en tant que DJ dans un duo vinylique approximatif
appelé "Why Silicone?", j'étais, je l'avoue, assez impressionné par le
fait que 50% des DJ's de la soirée fussent fournis par le département de
l'agence qui ne représente que 2,5% du total des salariés de DigitasLBi
Paris. Les prestations des deux DJ-Planners furent enthousiasmantes.
Les danseurs réagissaient positivement aux stimuli musicaux proposés
avec des crêtes émotionnelles répétées se traduisant par des cris et par
une forme précise de communication non-verbale entre danseurs et DJ: le
sourire ravi.

C'est en tant que spectateur de ce moment de communication intense
que m'est venu à l'esprit l'hypothèse, qu'il existait peut-être entre la
praxis du planning stratégique et celle du DJing, une analogie ou une
"sympathie" au sens où l'entend Michel Foucault dans sa classification
des quatre formes de ressemblance: La sympathie " rapproche les choses
les plus éloignées et meut ces mêmes choses" (Les mots et les choses1966). Une démarche qui peut amener à confondre les deux objets comparés en les "tirant" l'un vers l'autre. Qu'à cela ne tienne.

Un texte de 2008 de Jean-Yves Leloup (Artiste sonore, DJ depuis 1992
au sein du duo Radiomentale et essayiste) sur l'art du DJing (Mixologie)
vint alors nourrir cette lubie:

"Au-delà de la technique, un DJ de talent se doit de
proposer une vision. Une manière de faire dialoguer les disques, de
faire chanter les plaques, de parler d'hier et d'aujourd'hui et de
composer, en direct, une bande-son dans laquelle, clubbers, fêtards,
ravers ou simples amateurs de musique, sont invités à plonger, à vivre
et à vibrer, le temps d'une nuit."

"Vision", "parler d'hier et d'aujourd'hui", "composer", pour "inviter
à plonger, à vivre, à vibrer"… Je retrouvais là quelques éléments de
base qui correspondaient pour moi à la pratique du planning stratégique
dans son interaction avec la création… Confronter les éléments de
connaissance du consommateur, de la marque, du secteur d'activité et de
la stratégie marketing pour faire émerger une vision, une conviction.
Laquelle vision stratégique, une fois structurée dans "le brief créatif"
a pour ambition d'inspirer, de stimuler les équipes de création afin
qu'ils s'en saisissent pour concevoir le produit créatif le plus
innovant et performant pour une marque.

Finalement, la recherche du meilleur enchainement entre deux morceaux
susceptible de provoquer l'émotion chez les danseurs n'est-elle pas
semblable, chez le planner, à la quête du meilleur "angle stratégique"
fondé sur le mix le plus inattendu entre un passage saillant dans
l'expérience du consommateur, le rythme de la marque et une tonalité
inédite dans le secteur d'activité, le tout destiné à trouver un écho
inspiré auprès des créatifs?

"Le mix, c'est aussi le choc des contraires, l'art de la
collision et de l'inattendu. Les meilleurs DJ savent en effet jouer sur
des titres opposés, oser les ruptures de ton et parvenir à surprendre la
foule, sans jamais perdre son attention. Car le mix, c'est enfin une
question de dialogue entre l'artiste et son public.". Jean-Yves Leloup

Un bon mix, un bon brief

Le brief n'est pas la retransmission du brief du client. Mixer, ce
n'est pas passer des disques. Dans les deux cas, il y a réinterprétation
par le planner/DJ; opération à coeur ouvert dans la matière sonore ou
marketing. Il y a ajout d'éléments "extérieurs" qui vont révéler un
nouveau matériau.
Cet ajout "extérieur" est historiquement humain dans le cas du planning
stratégique. C'est en introduisant l'expérience humaine du consommateur
que le corpus marketing prend la troisième dimension nécessaire à sa
mise en communication.

"At the heart of an effective creative philosophy is the
belief that nothing is so powerful as an insight into human nature,
what compulsions drive a man, what instincts dominate his action
(…)". Bill Bernbach.

Le mix participe aussi de cette "réel-isation" du morceau musical.
Sans l'intervention humaine du DJ, il reste un morceau de musique
entendu chez soi ou dans sa voiture. Il demeure abstrait. Le mix lui
donne corps, révèle sa profondeur, l'ouvre à l'audience pour lui
permettre de s'en saisir physiquement.
Enfin, il y a un propos. Une vision. L'assemblage sensible des morceaux
pour donner naissance à une histoire musicale de plusieurs heures. Tout
comme, côté planning, l'articulation à dessein du puzzle marketing et
consommateur.

Un musical story-telling. Un strategic story-telling. Dans un cas
comme dans l'autre, tout repose sur la vision. Une conviction née des
éléments collectés et autour de laquelle ils s'agglomèrent. C'est cette
idée du propos musical ou stratégique qui va être "racontée" à
l'audience des danseurs ou des créatifs pour leur permettre de se
l'approprier et de la re-exprimer. Mais cette vision n'est
qu'hypothétique tant qu'elle n'est pas appropriée. Elle est l'objet
d'une évaluation en temps réel. Le dance-floor ou l'équipe créative vont
la recevoir, l'évaluer, et l'assimiler ou la recracher en live. Un
mauvais choix dans l'enchaînement, une appréciation superficielle du
rôle du consommateur, un décalage de rythme, une affirmation gratuite et
c'est le "rien". L'apathie. La déception. Un mauvais brief. Un mix
raté.

L'enthousiasme sur le visage des danseurs qui redoublent d'énergie
corporelle. Le sourire en coin, le regard entendu sur celui des créatifs
qui ont commencé à imaginer l'expression qu'ils pourront donner à
l'idée proposée par le planner. Ce moment là est le moment rêvé du DJ et
du planner. Le moment où il sait qu'il n'a pas fait que passer les
disques ou les plats marketing. Le moment où sa recherche, savoir-faire,
son intuition, son enthousiasme pour le produit final, bref, son
travail, ont apporté "quelque chose" qui a commencé à éclore.

Le DJing comme le planning stratégique ne sont pas nés de la dernière
pluie. Nés à l'ère analogique, ils démontrent toute leur pertinence à
l'ère digitale. Des vinyles au MP3, l'art du mix reste une discipline
sensible et vitale, servie par l'évolution technologique et dont les
plus talentueux praticiens ont acquis le statut de musicien. Du "spot
TV" à aux objets connectés, le planning stratégique demeure crucial pour
faire émerger l'humain depuis le tréfonds des interactions numériques.
Même affublé des appendices inutiles de "digital", "social" ou autres
colifichets sémantiques (Imagine t'on des DJ-tablets? des DJ-Mp3?, des
DJ-neutral?), il porte l'exigence de l'insight haut et fort face aux
very big-datas qui sans son prisme humanisant ne resteraient pour la
publicité contemporaine que de gros amas de statistiques impuissantes.

Bref. Pas de théorie nouvelle ou fracassante pour justifier ce texte.
Juste le plaisir de donner un coup de lumière noire sur ce "métier"
toujours un peu étrange et ceux qui le pratiquent en France, toujours un
peu cachés, mais qui le font avec jouissance et exigence.

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