L’économie de la fonctionnalité et de la coopération dans un territoire

 

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Il s’agit de réussir à organiser la prise en charge d’un enjeu de développement durable par la mise en œuvre d’une solution pertinente, à l’échelle de périmètres territoriaux spécifiques. Sur le long terme, il s’agit d’assurer la pérennité des acteurs impliqués ainsi que leur coopération.

 

L’Économie de la Fonctionnalité et de la coopération est un modèle économique qui consiste à concevoir et à produire des solutions qui sont fondées sur l’intégration de biens et de services, associée à la vente d’une performance d’usage et/ou inscrite dans une dynamique territoriale.

La définition et la mise en avant d’une performance d’usage, soit ne plus vendre des moyens, c’est– à-dire des biens ou du temps, mais une valeur servicielle, autorisent le découplage entre la création de valeur et le volume des moyens mobilisés (biens et services). La dimension matérielle de la production peut passer au second plan vis-à-vis de sa dimension immatérielle.

Exemple, l’intervention d’une femme de ménage au sein d’un domicile génère quels effets utiles en termes de qualité de vie, de tranquillité d’esprit, de gains de temps ? Quelle est la dépense acceptable du bénéficiaire dans le domaine considéré au vu de ces effets utiles attendus ? Deux conséquences à ce questionnement :

  • –  d’une part, l’identification que l’intervention d’une personne au domicile renvoie à des dimensions de valeur autres que la seule propreté des lieux. S’ouvre un espace d’innovation servicielle autour de la gestion du logement, de l’appui à l’organisation de la vie quotidienne des personnes ;

  • –  d’autre part, l’interrogation sur la dépense acceptable révèle que dans bien des cas cette dépense pourrait être largement supérieure au coût horaire du salaire multiplié par le nombre d’heures d’intervention, qui constitue aujourd’hui la modalité de rémunération de la personne.

    Il y a donc un espace pour développer une offre ayant une valeur servicielle plus élevée associée à une rémunération plus élevée.

    C’est le périmètre plus ou moins étendu de l’intégration des biens et des services constituant la solution qui permet de prendre charge des externalités sociales, sociétales et environnementales plus ou moins importantes. La « solution intégrée » qui en résulte est l’occasion d’étendre le périmètre des attentes prises en compte dans les domaines par exemple de « l’habiter », de la santé, de la mobilité, de l’information et de la connaissance, de l’alimentation ; et ainsi de donner corps aux enjeux du développement durable.

    Exemple : Urbanéo est une entreprise qui d’une part conçoit du mobilier urbain (abribus notamment), d’autre part réalise la maintenance et l’entretien de ce mobilier. En mobilisant le référentiel de l’EFC, Urbanéo identifie que son offre pourrait prendre en charge des enjeux de mobilité, notamment favoriser une performance d’usage en termes d’inter modalité. La valeur de l’offre augmente, en intégrant un enjeu social. Par ailleurs, l’intégration du bien (le mobilier) et des services de maintenance et entretien dans une solution intégrée créé une convergence d’intérêt entre Urbanéo et les collectivités clientes à optimiser la qualité et la durabilité du bien (la contractualisation se fait sur la mise à disposition d’un mobilier en état : la maintenance devient une charge pour l’entreprise au-delà de celle prévue dans le contrat).

Qu’estce qu’une externalité ?

Une externalité est un effet indirect, non intentionnel, de l’activité d’un acteur sur un tiers. Cet effet peut être positif (ex: je développe les compétences de mes salariés, ceux-ci les mobilisent dans un engagement associatif) ou négatives (pour réduire le coût de construction j’isole moins bien phonétiquement les logements. Les voisins développent des conflits). Les externalités, d’ordre environnemental, sociétal, économique se repèrent à l’échelle des territoires infranationaux. L’objectif est de chercher à les intégrer dans le modèle économique de façon à réduire les effets négatifs, augmenter la valeur créée.

En réalité les trajectoires permettant d’évoluer vers l’économie de la fonctionnalité et de la coopération distinguent deux cas de figures :

  •   Trajectoire 1 : La dynamique centrée sur la performance d’usage désigne le fait de ne plus vendre des biens ou des services séparés les uns des autres, mais de les intégrer et de les mettre à disposition de ses publics cibles moyennant une facturation fondée sur les résultats obtenus provenant de cette intégration. Ce passage à la dynamique servicielle permet d’envisager d’une nouvelle manière le cycle de vie des équipements, ainsi que les conditions d’accessibilité aux services.

  •   Trajectoire 2 : La dynamique est fondée sur la conception et la réalisation de solutions destinées à répondre à des enjeux repérés sur un plan territorial et considérés comme centraux vis-à-vis de la transition écologique, sociétale et économique. C’est la dynamique d’extension du périmètre d’intégration des biens et de services qui structure la dynamique durable des territoires : la performance d’usage contribue à la dynamique du territoire. Le changement de périmètre d’activités et d’acteurs engagés dans la coopération autour de « solutions intégrées » permet de prendre en charge un nombre grandissant d’externalités négatives subies par le territoire ou de développer des externalités positives qui lui sont utiles. Cette seconde dynamique économique change le rapport des entreprises aux territoires, d’un côté, à la dimension humaine du travail, de l’autre, en renouvelant l’approche de la coopération.

  1. Le concept opérationnel de performance d’usage repose sur une compréhension précise des modes de vie et de consommation, d’un côté, des modes d’organisation du travail, de l’autre. Tenir une performance d’usage signifie coopérer avec les bénéficiaires, ne pas chercher à agir sur les personnes mais bien avec elles.

    Par exemple, l’une des dimensions de la performance d’usage liée au domaine du « bien-vivre alimentaire » relève d’un effet positif en termes de santé des « mangeurs ». Pour être tenue, cette ambition nécessite une implication des mangeurs qui vont devoir faire évoluer un certain nombre d’usages alimentaires (apprentissage des dimensions nutritionnelles, évolution du type de produits consommés, développement de nouvelles façons de cuisiner liées au bio, etc.).

Accompagner les mangeurs dans une perspective de bien-vivre alimentaire va donc impliquer la mise en place de solutions intégrant un ensemble de biens et de services, proposés /mis en œuvre par une diversité d’acteurs réunis au sein d’un écosystème territorialisé.
Dans l’exemple qui précède, la solution intégrée doit proposer conjointement des fruits et des légumes provenant de maraichers respectueux de l’environnement et de la santé des consommateurs, un service de vente /distribution de proximité, des conseils nutritionnels personnalisés, un éventuel appui à la pratique de la cuisine (ateliers), etc. C’est, aussi, à cette condition que la performance d’usage envisagée pourra être tenue.

La performance d’usage adossée à la solution intégrée et à l’intention accordée aux effets d’externalité sont des leviers pour prendre en charge des effets positifs en termes environnementaux, sociaux, sociétaux et économiques à l’échelle des territoires. Ces effets sont inscrits dans le modèle économique même de l’entreprise.

Les solutions relevant du « bien vivre alimentaire » contribuent positivement aux préoccupations des territoires infranationaux en termes de qualité de l’eau, de préservation et régénération des sols, mais aussi en termes de renouvellement des approches de la santé publique sur les plans de la prévention des risques de diabète, d’accidents cardio-vasculaires, de réduction des arrêts maladie ou des inaptitudes au travail.

A l’opposé, la dynamique de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération invite à mutualiser les ressources matérielles, notamment, celles qui ne sont pas renouvelables, à en limiter leur usage et à favoriser leur recyclage afin de diminuer leur empreinte écologique. Comment ? En construisant avec les bénéficiaires un accord sur les performances d’usage attendues et en s’accordant sur la valeur monétaire liée à cette performance d’usage.

Passer de la vente du bien à la vente d’une performance d’usage, peut avoir pour conséquence la recherche de la réduction de l’obsolescence du bien lui-même ! Par exemple, on peut imaginer passer de la vente d’une centrale à air comprimé (vente d’un bien d’équipement) à la vente de l’usage de la centrale. Dans la vente de l’usage, l’industriel reste en propriétaire de la centrale. La rémunération se fait alors sur la quantité d’air comprimé utilisé. Ce déplacement de l’objet de la transaction conduit à un premier effet en termes de durabilité : le possesseur de la centrale à air comprimé a intérêt à mettre à disposition de son client un bien qui soit robuste, facile de maintenance, durable. Sur cette base, il est possible, par la suite, de passer à une offre d’optimisation de l’utilisation de l’air comprimé et de récupération de la chaleur générée. On est alors dans une logique de performance d’usage, qui s’intéresse aux effets utiles du service. A ce niveau, le fournisseur et son client ont un intérêt convergent réduire l’usage des moyens, tout en augmentant la valeur servicielle de l’offre. Ici, par exemple, le contrat peut prévoir que le gain généré par une optimisation des consommations est partagé entre les deux parties.

Les dynamiques économiques s’organisant autour de la notion de performance d’usage favorisent, par ailleurs, la durabilité des biens et/ou la réduction des consommations des ressources matérielles

Le modèle dominant fondé sur la vente de la propriété individuelle des biens et non sur la pertinence de leur usage, et adossé à des formes d’organisations du travail verticales, disposées en silos, conduit d’une part à une sousutilisation de certains biens matériels, d’autre part, à la mise en place de stratégies d’obsolescence programmée afin de renouveler leur achat.

Ce déplacement représente un levier pour développer, de manière servicielle, les approches circulaires du traitement des biens matériels, de la conception au recyclage en passant par l’usage. Cette approche favorise notamment la mise à distance de la propriété individuelle des biens, et favorise la mutualisation de leur usage, la mise à l’écart des logiques d’obsolescence programmée (le bien devient un support de la performance ; ce qui crée un intérêt conjoint de l’entreprise et du bénéficiaire pour en réduire les coûts d’usage), et la possibilité d’engager des démarches d’analyse du cycle de vie (ACV).

Evolution du travail et développement des ressources immatérielles

La dynamique relevant de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération invite les acteurs à élargir leur vision de la performance et à s’engager dans des coopérations avec d’autres afin de tenir ensemble une nouvelle ambition.

Si la convergence d’intérêts recherchée par les acteurs sous-entend des effets de complémentation des activités de chacun, elle nécessite, aussi, un déplacement des acteurs et en particulier de leur travail afin de tenir compte des contraintes des autres acteurs de l’écosystème coopératif. Cela modifie, parfois, profondément leur organisation et leur mode de management.

Les ressources stratégiques pour piloter l’émergence et le développement de ce nouveau modèle économique de type serviciel sont les ressources immatérielles1 ; à savoir, la capacité de développer la confiance, de s’appuyer sur les compétences, de concevoir des organisations pertinentes, de favoriser l’engagement dans le travail (effet de santé). Le développement de ces ressources passe, notamment, par des investissements immatériels tels que des dispositifs de retour d’expérience destinés à l’innovation servicielle ou la professionnalisation, des dispositifs d’évaluation de la valeur créée comme de la coopération, des dispositifs de recherche et développement immatériels, …, etc.

Vers la notion d’écosystème territorialisé

Les intérêts à mutualiser des investissements matériels et immatériels, la nécessité de coopérer pour tenir ensemble une performance d’usage, la recherche de prise en charge d’externalités débouchent sur une organisation sous forme d’écosystème coopératif territorialisé.

L’écosystème coopératif territorialisé

Emprunté à l’écologie, le terme « écosystème » fait référence, en économie, à un regroupement d’acteurs qui agit dans une convergence d’intérêts, au service d’un projet à visée économique, sociale, sociétale et environnementale.
Les acteurs de l'écosystème développent une communauté structurée par des interactions fondées sur des engagements réciproques, des échanges d'information et de connaissances, la mutualisation de ressources, matérielles et immatérielles permettant le développement et la pérennité du projet.

A la différence de la chaîne de valeur qui organise un processus économique sur la base d’un séquençage d’acteurs reliés par une coordination des maillons deux à deux, et où la valeur monétaire est majoritairement captée par l’un d’entre eux, dans l’écosystème, la création de valeur est liée à la capacité à tenir la performance de façon synchrone ; La valeur monétaire créée étant partagée sur la base des engagements et de leur réalisation. La répartition de la valeur monétaire créée s’opère en tenant compte de l’objectif de long terme du renforcement des ressources individuelles et collectives.

La chaine de valeur prend une représentation linéaire et séquentielle; tandis que l’écosystème coopératif est souvent représenté par un ensemble d’acteurs maillés entre eux, et organisés autour d’un intégrateur, qui peut faire office de Garant de la coopération.

 

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